Médicament contre la toux à l’héroïne ? L’ascension et la chute de la médecine des brevets

Tout au long de l’histoire médicale, les traitements impliquent l’utilisation d’ingrédients étranges. Bien souvent, le remède semble presque aussi mauvais que la maladie : appliquer de la viande crue sur une morsure de chien enragé, soigner la syphilis avec du mercure et du radium pour guérir l’arthrite. Des thérapies se sont en effet révélées plus meurtrières qu’efficaces.

Au XIX e et au début du XX e siècle, les antidotes universels sont populaires et accessibles à tous. En l’absence de restrictions, de nombreux médicaments sont fabriqués avec des substances dangereuses tels que l’alcool, la cocaïne, la morphine, l’opium et le chloroforme.

Pire encore, les enfants et les bébés reçoivent ces préparations, et la mort en est malheureusement un effet secondaire fréquent. Peut-être que le composant extrême qu’on leur sert est l’héroïne : utilisé en médecine contre la toux, il s’avère très apprécié des jeunes. Mais il s’agit de médicaments brevetés. Ne devraient-ils pas avoir des ingrédients sûrs et approuvés ?

En 1912, Bayer lana une campagne publicitaire dans des journaux espagnols pour un médicament à base d’héroïne … pour les enfants.

Médicaments brevetés

Les médicaments brevetés remontent au XVII e , lorsqu’une subvention royale est délivrée à un demandeur pour qu’il vende un remède, connu sous le nom de brevet. Un brevet est accordé si le patient ne meurt pas ou s’il se sent mieux après avoir pris la préparation. Ces potions sont rarement fabriquées par des docteurs ou des pharmaciens, et il s’agit clairement d’un système défectueux pour identifier leur efficience.

La médecine brevetée devient très populaire au milieu du XIX e et au début du XX e siècle en raison de la publicité omniprésente. Des tracts, des échantillons gratuits, des jouets et des pièces de monnaie peuvent être échangés contre l’antidote, et de nombreux médicaments s’avèrent très efficaces même s’ils n’ont aucune propriété curative.

Cela pourrait avoir un lien avec les autres ingrédients. Les médicaments brevetés comportent généralement un pourcentage élevé d’alcool de grain, souvent associé à des drogues hautement addictives et même à des composants radioactifs. Les gens croient que ces médicaments fonctionnent en raison des effets de leurs substances.

Des lois sur la protection des consommateurs sont prises en raison des dépendances et des décès causés par la médecine brevetée. La liste de tous les ingrédients utilisés dans le médicament sur l’emballage devient une exigence. Auparavant, les ordonnances ne sont pas tenues d’indiquer si elles contiennent des produits dangereux dans le flacon.

Affiche publicitaire de Bayer pour drug stores dans les États-Unis, avant la prohibition de l’héroïne en 1924

Spectacles de médecine et Indian Sagwa

Beaucoup de vendeurs de médicaments brevetés organisent des expositions médicales itinérantes. Ces spectacles racontent des histoires sur la façon dont leur médecine est issue de pays étrangers. Ils en vantent l’efficacité.

Cela se déroule en apportant des plantes, des gens qui s’asseyaient dans le public disent comment cela les guérit. Parmi les représentations qui suivent ce principe, on peut citer la Kickapoo Indian Medicine Company.

Ces émissions emploient de nombreux Amérindiens ou d’autres peuples autochtones comme porte- parole. Ils s’habillent en tenues traditionnelles, clament une prière dans leur langue maternelle et dansent.

Évidemment, c’est généralement faux, et il n’y a personne qui soit originaire de Kickapoo dans les spectacles, la société allant même jusqu’à embaucher un Irlandais pour se faire passer pour un Indien. On explique que leur produit, le Kickapoo Indian Sagwa au nom exotique, purifie le sang et guérit toutes les maladies du système digestif.

C’est un puissant laxatif à base d’herbes, de racines et souvent d’écorce. La marque est approuvée par le soldat et cow-boy américain Buffalo Bill. Il affirme que Kickapoo Indian Sagwa est le seul remède que les Indiens utilisent et qu’ils le connaissent depuis des lustres. Un Indien se retrouverait autant dépourvu sans son cheval, son fusil ou sa couverture que sans Sagwa.

Flacon d’héroïne vendu par Bayer pour soigner la toux

Vilaine toux ? Que diriez-vous d’un peu d’héroïne…

De nombreux médicaments brevetés ont soi-disant la vertu d’apaiser de jeunes malades. Ces sérums ou sirops aident à soulager la douleur de la dentition, à calmer un bébé difficile ou à traiter sa toux, son asthme, sa pneumonie et sa bronchite.

Des pastilles contre la toux à base d’héroïne sont également indiquées pour soigner les enfants plus âgés et les adultes. Après avoir pris la préparation, la drogue ralentit la respiration et les symptômes s’arrêtent. Bien sûr, ce n’est pas tout.

L’héroïne est composée par un chimiste de Londres qui a expérimenté le mélange de morphine et d’acides. Il abandonne son produit parce qu’il ne correspond pas au but de ses recherches et qu’il n’a aucune raison de l’utiliser. Cependant, environ 20 ans plus tard, un scientifique travaillant pour Bayer Corp. relance la substance et découvre qu’il s’agit d’une forme de drogue incroyablement puissante.

Bayer Corp est la même entreprise qui fabrique de l’aspirine aujourd’hui. Bayer Corp annonce que le médicament est un substitut sûr à la morphine qui ne crée pas de dépendance et traite la toux. L’héroïne, je pense que nous pouvons tous en convenir, n’est en fait pas plus sûre que la morphine. Elle est très vite métabolisée en une forme de morphine qui est plus forte et agit plus rapidement.

Une fois que l’entreprise prend connaissance des risques, des dangers et des décès, elle cesse d’en produire en 1910. Outre les bouteilles fabriquées par Bayer Corp, il existe d’autres médicaments contre la toux qui ont cette même base. Deux exemples célèbres sont le laudanum et le sirop apaisant de Mme Winslow.

Le premier est une teinture d’opium qui en contient de la poudre, mélangée à de la codéine et de l’alcool. Le remède est incroyablement addictif et beaucoup de femmes au foyer le donnent à leurs nourrissons ou le boivent elles-mêmes pour se détendre. De nombreux autres médicaments brevetés en comportent également.

Les effets du laudanum comprennent l’euphorie, la sédation, la constipation et une respiration plus lente. Aujourd’hui, il est utilisé dans les hôpitaux pour traiter la diarrhée sévère et pour les bébés nés avec le syndrome de sevrage, mais cela se fait sous une surveillance stricte et l’idée qu’il pourrait être automédiqué est révolue depuis longtemps.

Certains des produits que Bayer vendait en plus de l’héroïne.

Le sirop mortel de Mme Winslow

Le sirop apaisant de Mme Winslow est utilisé chez les nouveau-nés qui font leurs dents, qui sont difficiles et qui toussent. Il comporte 65 mg par once de morphine et d’alcool et il est recommandé de le prendre à des doses élevées. Fait alarmant, une cuillère à café contient assez de drogue pour provoquer facilement la mort même avec un enfant plus âgé.

Le médicament semble efficace, mais tue suffisamment de nourrissons pour mériter le surnom de tueur de bébés : l’héroïne ou la morphine ralentirait la respiration du bébé et ferait cesser les symptômes. Cela permet aussi aux bébés de s’assoupir rapidement, mais malheureusement, beaucoup ingurgitent le sirop apaisant pour les aider à dormir et ne se réveillent jamais.

Souvent, les parents ne savent pas que ces médicaments comportent de la drogue ou sont addictifs. De nombreux élixirs sont annoncés comme étant sûrs et inoffensifs et il est bon de les donner aux enfants. On estime que plusieurs milliers de bébés reçoivent des remèdes à base d’héroïne et meurent.

Des produits tels le sirop contre la toux ne sont plus mis en vente grâce à la réglementation fédérale aux États-Unis et à une législation similaire dans d’autres pays. Certains médicaments brevetés existent encore aujourd’hui sans substances dangereuses. Les sodas 7 Up, Coca-Cola et Dr Pepper en étaient tous à l’origine.

Le 7 Up est fabriqué avec du citrate de lithium, qui est conseillé pour stabiliser l’humeur. Le Coca- Cola comporte de la cocaïne censée guérir l’impuissance et la dépendance à la morphine. On ne trouve aucun élément nocif dans le Dr Pepper, mais il est de toute façon vendu comme médicament pour aider à la digestion et prétend restaurer la vigueur et la vitalité.

Une publicité pour Coke datant des années 1890, mettant en scène l’actrice Hilda Clark.

Parmi les autres produits bien connus que nous utilisons encore à l’heure actuelle et qui étaient anciennement des médicaments brevetés, citons le lait de magnésie de Phillips, le tonique, les noix de raisin, les flocons de maïs de Kellogg, le Vicks VapoRub et même l’eau de source de Lithia. Heureusement, aucun d’entre eux ne contient actuellement les ingrédients qu’ils comportaient auparavant.

Ces préparations addictives et dangereuses administrées aux enfants influencent les progrès de la médecine moderne. Aujourd’hui, les praticiens savent quels médicaments traiteront leurs patients. La prescription de panacées n’est plus une courante, car ils avaient tendance à ne rien guérir.

V.M.

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