Mode et coquetterie au XVIIIe siècle
Au siècle des boudoirs et de la galanterie, comme dans l’art et la littérature, la mode et l’apparence physique se libérèrent des règles pesantes du Grand Siècle pour se couvrir, dans une société théâtrale, d’artifices de manière aussi débridée que savamment étudiée. L’essentiel était de plaire à tout prix. Le mouvement sera bafoué par le puritanisme révolutionnaire.
Punks
Dans les années 1770-1780, c’est la chevelure qui connut le comble de l’extravagance : elle fut extraordinairement papillotée, crêpée, frisée, enflée de crin, enduite de pommades, colorée et décolorée, aromatisée. Les coiffures étaient des monuments qui pouvaient atteindre près d’un mètre de circonférence. Des forêts ou des jardins entrelacés de ruisseaux argentins poussèrent sur les chapeaux. Muller est réputé à Paris pour avoir mis à la mode, en 1775, les perruques féminines pouf. Garnies de plumes d’autruche ou autres oiseaux, d’aigrettes, de fleurs, de gaze, de dentelles, de diamants..., ces véritables pièces montées atteignaient jusqu’à six étages. À en croire les satires d’époque, elles obligeaient les dames à se déplacer en carrosse tête baissée ou à genoux, à moins de passer la tête entière par la vitre. On parla même de la nécessité de surélever les portes dans les châteaux... Un humoriste prétendit: «Les panaches géants ont rendu bossues toutes nos élégantes » ; un autre : « La femme aussi de haut plumage se pare au pays des Incas, mais là les beautés sont sauvages et les nôtres ne le sont pas». Le chef-d’œuvre de la démesure fut sans doute la commande, par une grande aristocrate, de la réplique d’une illustre frégate, avec gréements et canons, pour la fixer aux ondulations de sa chevelure. Marie-Antoinette était particulièrement friande de ces perruques. Léonard, son coiffeur, était un véritable architecte-entrepreneur rococo à l’imagination débordante. Il modelait avec le peigne des paysages et des panoramas avec parterres, fruits, maisons, navires ou des illustrations de l’actualité. Ainsi, après le succès d’un opéra de Gluck, son chef- d’œuvre fut « la coiffure d’Iphigénie », avec des rubans de crêpe noir et la demi-lune de Diane.
On imagine que les «emperruquées» devaient avancer comme des équilibristes pour ne pas faire tomber l’espèce de lourde amphore déposée sur leur tête! Le tout était plus ou moins maintenu par une masse d’épingles, si volumineuse qu’en 1780 la Correspondance littéraire craint qu’en cas d’orage la ferraille n’attirât la foudre !
Pour comble, c’est pendant les famines du temps qu’on saupoudra le plus les perruques de farine, au point que les coquets des deux sexes, de la noblesse et de la bourgeoisie, devaient se protéger d’un peignoir et se couvrir le visage d’un cornet. En 1782, Sébastien Lemercier estima que «dix mille infortunés » au moins auraient pu être nourris tous les jours avec cette opération de meunerie. Mais la vermine les vengeait bien par les infernales démangeaisons qu’elle infligeait aux obsédés du capillaire. Selon une source contemporaine, on blanchissait aussi les perruques avec de la poudre d’amidon, souvent mêlée de « racine d’iris », de « bois vermoulu ou pourri », d’« os desséchés ou brûlés jusqu’à blancheur et qu’on passe à travers un tamis de crin, après qu’on les a bien pilés ».
Mouvement transsexuel
Comme la femme, l’homme tomba dans une débauche de coquetterie. On peut lire en 1768 que «les hommes ne se piquaient point autrefois d’avoir une belle figure; mais actuellement ils en sont jaloux comme les femmes mêmes, et il n’y a rien qu’ils ne fassent pour ne pas paraître laids ». C’est si vrai qu’on pourrait parler d’un mouvement «transsexuel». Les précieux se faisaient épiler complètement, n’acceptant d’ailleurs pas de se donner à une maîtresse avant cette opération préalable, et leurs perruques étaient essentiellement composées de cheveux féminins, plus souples. Leur visage se devait d’être aussi lisse et rose que parfumé. Certains le nettoyaient avec une eau délicate ou une liqueur distillée, se garnissaient de faux mollets et de postiches. Dans ses Mémoires, Casanova évoque l’octogénaire chevalier d’Aginy qui portait des habits fleuris, se fardait de rouge, se pommadait la perruque, se peignait les sourcils de brun, se parfumait d’ambre, meublait sa bouche d’un rutilant ratelier d’ivoire... À l’occasion de grands bals organisés à Paris, le duc de Villars se peignait les sourcils, mettait du rouge et plaçait en bouche de petites balles en coton pour se remplir les joues dans l’espoir d’attirer les jeunes gens.
À la tête de cette troupe «d’animaux amphibie», selon l’expression de La Morlière, on trouvait, écrit Lapeyre en 1747, « les abbés frisés, masqués, d’une propreté enchantée [...], qui mettent de jolies manchettes et des anneaux aux doigts ; ils ont aussi des habits de soye, et quelquefois une mouche auprès de la lèvre pour la rendre vermeille ».
Tartes à la crème
La bourgeoise se fardait abondamment, signe de sa volonté de se hisser au niveau de l’aristocrate. Toutes les galantes avaient leur cabinet de toilette, où elles passaient des heures à se maquiller. Préalablement, elles s’enduisaient le visage d’un mastic blanc qui lissait la peau. Servant à masquer les ravages opérés par les ans, le soleil, le stress et la maladie, il en opèrait lui-même de bien plus graves, en raison de sa toxicité. Visages burinés, hâle et callosités des mains, qui trahissaient les activités dégradantes des travailleurs, taches de rousseur que le soleil faisait ressortir, étaient absolument à dissimuler. Dès les premiers beaux jours, les belles ne se séparaient plus de leurs parasols et ombrelles. Elles pouvaient aussi les louer, par exemple dans les échoppes établies des deux côtés du pont Neuf, ne fût-ce que pour le traverser.
Il fallait aussi camoufler les cavités aussi profondes qu’indélébiles causées par la syphilis et la petite vérole, ou, moins graves, les disgracieux boutons d’acné – poétiquement appelés saphirs –, la couperose, les dartres ou autres desquamations bénignes. On passait ensuite à la deuxième couche, celle du rouge. Apparu à la cour d’Henri II, il avait acquis un ton soutenu. Très courant, il s’appliquait jusqu’à la paupière inférieure. S’il fallait viser au contraste total, il fallait aussi adapter la nuance à son statut social ou aux circonstances: carmin de plein air pour les balades en forêt, vermillon huileux pour les soirées aux chandelles, rouge tendre pour le coucher, rouge sang pour la maîtresse du boucher, rouge rose pour la légère courtisane du Palais-Royal, rouge écarlate étalé négligemment de manière calculée pour la noble de haut rang, rouge obsédant pour le visage des défuntes, tel celui de Madame Henriette, fille de Louis XV, le jour de son décès. La tonalité était aussi en rapport avec le sentiment que l’on souhaitait évoquer, comme la gaieté, la pudeur, la sensualité. Il fallait ensuite souligner les yeux de noir, rendre les lèvres luisantes avec des pommades grasses, peigner délicatement les cils pour les « rendre exactement droits de manière que chaque poil puisse ainsi dire se compter ». Pour peaufiner, on repassait au bleu quelque veine de la poitrine ou des bras pour mieux en faire ressortir l’exquise pâleur. Restait à saupoudrer le tout de mouches noires, faux grains de beauté déjà à la mode au siècle précédent. Les ongles échappaient aux artifices, mais il convenait de les «couper en rond». Pourtant, Caraccioli, ambassadeur de Naples à Paris, suggéra qu’« il serait joli de voir sur chaque ongle les portraits en miniature de ses parents ou de ses bons amis » !
Chasse à la baleine
En 1770, parut La dégradation de l’espèce humaine par l’usage du corps à baleines, diatribe appuyée par les philosophes des Lumières – Rousseau en particulier –, destinée à libérer la femme de cet instrument de torture, supporté depuis le XVIe siècle au moins. Ce corset présentait une double utilité: mettre en valeur la silhouette féminine et empêcher tout effort superflu de la femme noble, la seule à le porter. Il était donc, par la même occasion, un signe de distinction sociale, mais à quel prix! L’appareillage de baleines rigides passées dans une toile dure de coton écru provoquait des lésions au foie, des esquilles, entravait les côtes, en conséquence parfois démises. La Révolution signa leur disparition, au profit du corset souple, au nom de la liberté...
Réticule et balantine
Sous le Directoire (1795-1799) apparut un nouvel accessoire féminin: le sac à main. Avant 1789, les femmes de la haute société attachaient à leur ceinture une poche qu’elles dissimulaient sous leur robe à panier. Avec la mode des robes à l’antique se répandit l’usage d’accrocher à la main une sacoche d’une taille si ridicule – il pouvait juste contenir un mouchoir de poche – qu’on le nomma réticule ! En outre, on attacha à la ceinture un sac plus grand qui se balançait sur la robe : la balantine.
Petite histoire de la petite culotte
À la même époque, dans l’inventaire de la garde-robe d’une jeune pensionnaire, fille du riche bourgeois Michel Simons, on trouve : 13 robes, 18 chemises, 14 mouchoirs, 17 paires de bas, 11 jupons, 6 corsets, 3 paires de poches, 6 fichus, 2 camisoles de nuit, une douillette, mais pas... de petites culottes. Pas étonnant puisque, au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, le linge de corps intime n’existait pas. Seules les chemises suffisamment longues protégeaient tant bien que mal le sexe des hommes et des femmes. À l’époque, en effet, on ne s’embarrassait de règles d’hygiène, porter un caleçon serré était inconvenant et, surtout, la médecine préconisait de laisser circuler l’air sur les parties intimes pour éviter des maladies. Quant à la culotte, terme dont l’origine ne fait pas mystère, elle a consisté longtemps, depuis la Renaissance, en un vêtement court s’arrêtant aux genoux et exclusivement masculin, d’où le sens de l’expression «porter la culotte». Quant à l’usage de la «petite culotte», ou slip, il ne s’est répandu qu’à la fin du XIXe siècle. Pour avoir longtemps souffert d’une hygiène déplorable, les femmes conquéraient enfin le droit au confort. Une occasion pour les hommes de fantasmer sur un morceau de tissu érotique...