Le « plancher » du radeau étant composé de divers morceaux de bois dont certains sont ronds, des passagers glissent, pendant la nuit, entre les pièces de bois et ont les jambes brisées, et d'autres passent même par-dessus bord. L'aube du deuxième jour révèle une triste constatation : vingt personnes ont disparu de la « machine ». Remplis de désespoir, un matelot et deux mousses se jettent à l'eau. Le radeau continue à dériver, la mer balaie le radeau inlassablement. La rébellion gronde, les soldats sont affolés, ils soupçonnent les officiers d'avoir organisé avec le commandant Chaumareys l'abandon du radeau !
Pris d'un délire collectif, ils vident une barrique de vin et s'enivrent. Ils décident de vouloir mourir immédiatement et commencent à démanteler le radeau en coupant les cordages à coups de hache pour envoyer la « machine » par le fond.
Savigny et quelques officiers interviennent les armes à la main; ils veulent jeter les mutins à la mer. Ils parviennent à les repousser jusqu'au mât. S'ensuit un combat féroce, la bataille devient générale, des hommes passent par-dessus bord. Soudain, la fureur s'apaise, les révoltés demandent aux officiers de leur pardonner leurs actes, mais la nuit venue, la bataille reprend avec intensité. Au matin, on fait le recensement : il n'y a pas moins de soixante-trois nouvelles victimes.
Le combat n'a pas arrangé la situation des naufragés : le fût d'eau douce et quatre barriques de vin ont été jetés à la mer, il ne reste qu'un tonneau de vin. Le rationnement s'intensifie pour les survivants. Les hommes ont maintenant de l'eau jusqu’à la taille. La faim se fait cruellement sentir; tout est bon pour calmer celle-ci : ils mastiquent du cuir des baudriers, des linges…
Le 7 juillet, le chirurgien Savigny rapporte que, poursuivis par la faim qui les tenaille, des naufragés arrachent quelques lambeaux de chair aux cadavres qui jonchent le radeau, les coupent en tranches, prennent parfois le temps de faire sécher les morceaux au soleil et les dévorent. Quelques passagers et les officiers trouvant cela répugnant, décident que les affamés recevront une plus grande quantité de vin. À l'aube de la quatrième nuit, une bataille rangée s'étant produite et un mousse s'étant suicidé, le huit juillet, il ne reste plus que vingt-sept personnes à bord sur les cent quarante-sept embarquées.
La plupart des passagers sont blessés, ont perdu la raison et quelques-uns peuvent encore espérer survivre quelques jours tout au plus. La seule chose dont ils disposaient encore était le vin, mais la réserve diminuait dangereusement. Pour que les plus forts survivent plus longtemps, on décide de jeter les plus faibles à la mer. Cette horrible besogne est exécutée par trois matelots et un soldat. Ils restent donc à quinze. Pour éviter tout problème, ils décident de jeter à la mer toutes les armes, excepté un sabre pouvant éventuellement servir comme outil à trancher.
Coudein raconte que, n'étant plus que quinze, ils démontent une partie du radeau et fabriquent une plateforme surélevée supportant une petite tente qui leur permet de se mettre enfin au sec. La peau de leurs jambes est altérée et attaquée par l'eau de mer, mais le fait de ne plus tremper dans l'eau de mer où il y avait absorption par la peau accélère la déshydratation de leur corps, et la soif maintenant se fait cruellement sentir. Le soleil n'arrange pas leur situation. Il ne reste bientôt plus une goutte de vin et les rescapés en sont réduits à boire leur urine. Ils la font refroidir dans de petits récipients en fer-blanc pour que le breuvage soit plus facile à consommer.
Le 17 juillet, après treize jours de dérive, une voile apparaît à l'horizon : c'est l'Argus qui est revenu en mission, non pas pour rechercher les naufragés, mais pour retrouver l'épave de la Méduse, car à bord de celle-ci sont restés de l'approvisionnement et surtout des barils qui contiennent nonante mille francs, propriétés du Roi !
Malgré tous les efforts des quelques malheureux survivants pour attirer l'attention de l'équipage du navire, rien n'y fait ! Ils sont de nouveau abandonnés aux éléments. Les quinze survivants n'ont plus qu'à attendre la mort qui ne tardera pas à venir.
Fort heureusement, le destin se montre clément pour une fois envers ces hommes désespérés. Quelques heures plus tard, le navire repasse dans les parages et cette fois, ils ont été remarqués par les hommes de bord. Il met en panne et recueille enfin les infortunés; ils sont saufs.
C'est à ce moment que l'on constatera que les rescapés se sont nourris de chair humaine : les cordages étayant le mât étaient remplis de morceaux de chair à sécher. L'embarcation de fortune était parsemée de lambeaux de chair attestant sans nul doute leur origine.
Et les autres embarcations avec leurs membres ? Le canot du gouverneur et de Chaumareys a pu rejoindre Saint-Louis, car ils possédaient une boussole. D'autres personnes, une soixantaine environ, seront récupérées par l'Echo. Chaumareys ne dit mot et restera muet sur les circonstances du drame. Les autres embarcations accostèrent le rivage désertique des côtes; leur aventure sera épouvantable, souffrant de la soif, de la faim. Certains seront capturés par les Maures, d'autres arrivèrent même après les rescapés de la Méduse.
L'Argus repart en chasse de la Méduse et ce n'est que le quatre septembre qu'il atteint l'épave. En montant à bord, ils découvrent un spectacle navrant : trois hommes ont survécu pendant quarante-cinq jours, mais ils sont dans un état lamentable proche de la mort. Qu'est-il advenu des quatorze hommes qui les accompagnaient dans leur attente désespérée ? Deux sont morts et douze autres avaient décidé de tenter la traversée vers la côte sur un radeau. On n'entendra plus jamais parler de ces hommes, nul ne sait ce qu'ils sont devenus. Ils ont probablement été engloutis à tout jamais par les flots.
Sur trois cent quatre-vingt-seize personnes montées à bord de la Méduse au départ, cent soixante y laisseront la vie.