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Norman Shelley : la voix de Churchill ?

Oublions les fantaisies hollywoodiennes du genre « L’Aigle a atterri » (1976) et constatons que Winston Churchill n’utilisa jamais de double, dans le sens littéral du terme.

 

Il existe des preuves apocryphes que des hommes de stature et de morphologie équivalentes furent utilisés pour donner l’impression à un spectateur peu averti que Churchill se trouvait en sécurité dans un bâtiment ou visitait l’un ou l’autre aéroport.

 

Mais personne, comme ce fut le cas pour Montgomery, ne fit d’apparition publique en affirmant qu’il était Churchill.

 

Cela étant, il semble que les Allemands le confondirent par erreur avec quelqu’un, et prirent les dispositions nécessaires. Le 1er juin 1943, le grand et mince acteur anglais Leslie Howard, dont on se souvient pour son rôle d’Ashley Wilkes dans « Autant en emporte le vent », décolla de Lisbonne à destination de Bristol en compagnie de son agent, le corpulent Alfred Chenhalls. Pour être honnête, le duo présentait une troublante ressemblance avec Churchill, accompagné de son garde du corps, Walter Thompson. On savait également que le Premier ministre (P.M.) britannique se mêlait parfois à la foule des passagers des lignes régulières pour se « cacher » en pleine lumière. Les aéroports espagnols et portugais étaient placés sous étroite surveillance allemande.

 

Alfred Chenhalls

 

Quoi qu’il en soit, une patrouille de huit chasseurs allemands décolla de Staffel 14 à Bordeaux avec pour mission d’abattre l’appareil. Huit chasseurs qui s’attaquent à un malheureux et inoffensif DC-3 témoignent d’un niveau de détermination plutôt inhabituel. Churchill lui-même se rangea à la thèse que Howard, Chenhalls et les autres passagers étaient morts à cause de cette ressemblance. Il exprima ses regrets pour la méprise, dans ses mémoires d’après-guerre.

 

Cependant, si Churchill n’utilisa jamais de double physique, il semble que pour sa voix ce fut le cas.

 

L’acteur et imitateur Norman Shelley (1903-1980) soutint jusqu’à sa mort qu’il avait, en certaines occasions, pris la place de Churchill derrière les micros quand celui-ci était trop occupé pour se rendre dans les studios.

 

Cela arrangeait d’ailleurs les services de renseignements britanniques que l’on crût qu’il était toujours en Angleterre alors que le devoir l’appelait ailleurs.

 

Certains mauvais esprits ont, depuis, tiré parti de ces déclarations pour prétendre que Churchill était trop saoul pour s’exprimer. Le mythe de Churchill conduisant la guerre dans une sorte de brouillard éthylique repose en grande partie sur une habitude prise en Afrique du Sud et aux Indes, où il aurait été quasiment suicidaire de boire de l’eau.

 

Lui et la plupart des expatriés avaient pris l’habitude d’ajouter une rasade de whisky dans une demi-pinte d’eau pour la rendre potable. Et ceci, aussi bien pour se désaltérer que pour se laver les dents.

 

Les légendes sur une dépendance à l’alcool reposent entre autres sur le fait qu’il aimait siroter un peu d’eau. Il en gardait toujours une flasque sur lui, teintée de cognac ou de whisky, où l’on aurait pu à peine déceler une fraction de degré d’alcool.

 

On se souvient également qu’il admonestait ceux qui buvaient sec dans son entourage, les prévenant qu’ils ne vivraient pas longtemps avec un pareil comportement.

 

En 1936, il gagna un pari fait avec le vicomte Rothermere, portant sur son abstention à boire une seule goutte d’alcool pendant un an. On peut donc en déduire logiquement que l’homme n’était pas un poivrot.

 

Qu’en est-il alors des fameuses déclarations radio diffusées et des enregistrements encore disponibles sur « Nous combattrons sur les plages » et « Le sang, la sueur et les larmes » ? Nous ne saurons jamais si c’était Shelley qui prononça ces célèbres phrases devant les micros de la BBC, en prétendant être Churchill pour abuser les nazis qui le croyaient à Londres.

 

Cependant, la qualité de son imitation de Churchill et le fait que pareil subterfuge en temps de guerre soit d’une importance capitale rendent l’hypothèse vraisemblable. À fortiori, depuis que les enregistrements de Shelley sont tombés dans le domaine public.

 

L’idée même que Churchill puisse avoir été doublé souleva un tollé dans certains milieux, et spécialement au Churchill Centre, lequel, comme on pouvait s’y attendre, repoussa dédaigneusement cette éventualité.

 

Mais dans les archives écrites de la BBC figure un registre d’émissions et d’enregistrements signé la plupart du temps par le Premier ministre, mais pas pour toutes ses performances. L’historien et journaliste Christopher Hitchens a soulevé un certain nombre de contradictions entre les dates et heures d’enregistrement et l’agenda de Churchill, qui le renseigne ailleurs au même moment.

 

Robert Parker, l’expert audio qui travailla sur les enregistrements utilisés dans la série télévisée « L’Angleterre en guerre », a découvert certaines légères incongruités décelables uniquement par des oreilles averties, pendant que les enregistrements défilaient l’un après l’autre.

 

On peut relever deux cas, en particulier : « Nous nous battrons sur les plages » et « Jamais autant d’hommes ne durent autant à un si petit nombre ».

 

Les voix apparaissent différentes et on note aussi quelques défauts de prononciation.

 

Plus récemment, Sally Hines, du département des archives sonores de la BBC, écrivit au « Guardian » pour confirmer que Shelley avait effectivement été convoqué au studio de Regent’s Park pour l’enregistrement de « Nous combattrons sur les plages ». Ce dernier fut, en 1990, l’un des 20 enregistrements « authentiques » envoyés au Laboratoire de sensimétrie acoustique du Massachusetts pour y subir des comparaisons rigoureuses avec des enregistrements incontestables de Churchill.

 

Les résultats furent probants : les trois enregistrements les plus fameux « Nous combattrons sur les plages », « The finest hour » et « Du sang, de la sueur et des larmes » sont des versions enregistrées par quelqu’un d’autre que Churchill.

 

Et finalement, en 2000, Anthony, le fils de Shelley, découvrit dans le grenier du domicile de son père à Chepstow, un vieux 78 tours porteur de la mention : « BBC. Discours de Churchill. Artiste : Norman Shelley. 7 septembre 1941 ».

 

C’est l’enregistrement de « Nous combattrons sur les plages ». On y entend Shelley discuter avec les techniciens à l’issue de l’enregistrement, avec sa propre voix évidemment.

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