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Alors qu’en 1772, en Allemagne, Bode étudie la position des planètes, alors qu’en 1789, en France, Lavoisier révolutionne la chimie, il y a bien d’autres avancées – ou tentatives d’avancée – de la science dans ces deux grands pays et aussi dans quelques autres.
Ainsi, en Italie…
Le ciel y est plus bleu qu’ailleurs, la musique plus suave et les hommes de science se souviennent de leurs illustres prédécesseurs, les Cardan, les Galilée, les Torricelli…
Par exemple, en 1780, Luigi Galvani, qui enseigne la médecine à l’Université de Bologne. La plus vieille université du monde, au fait, puisque ses origines remontent à 1088. Mais en 1088, à Bologne, on n’aurait vraiment pas eu l’idée de faire les expériences de Galvani ! Car en songeant à ses prédécesseurs, en pensant à toute cette galerie de grands hommes qui ont fait progresser la science avant lui, Galvani pense à une grande question et à une plus petite. La grande question, c’est la question de la vie. Qu’est-ce que c’est que ce phénomène, certainement complexe, qui distingue les êtres vivants des êtres inertes ?
La petite question, c’est une curiosité des cabinets de physique.
Dans certains de ces cabinets, on produit de l’électricité, c’est assez curieux, à l’aide de machines qui sont essentiellement constituées par un corps tournant sur lequel sont appuyés des frotteurs en tissu ou en cuir.
C’est le frottement qui produit l’électricité. Le verre devient capable d’attirer de petits objets et surtout produit des étincelles, qui peuvent devenir spectaculaires si le frottement est suffisamment vigoureux.
C’est bien étrange, c’est très curieux, mais ce n’est en somme qu’un amusement de laboratoire. Mais Galvani s’y intéresse.
Mais quel rapport entre l’électricité des physiciens et la vie ?
Eh bien, une des expériences que l’on pratiquait avec la machine électrique, c’était de soumettre à l’électricité de petits animaux et ceux-ci subissaient manifestement une secousse intense, qui pouvait parfois aller jusqu’à les tuer.
Donc, l’électricité peut détruire la vie. Donc, il y a peut-être un rapport entre vie et électricité.
En fait, il semble – mais allez savoir ! – que ce n’est pas par ce brillant raisonnement que Galvani est arrivé à sa découverte, mais par une constatation fortuite, faite peut-être par le plus grand des hasards.
Nous sommes donc en 1780. Galvani dissèque des grenouilles. C’est un matériel souvent utilisé par les naturalistes.
Il coupe la patte d’une grenouille, évidemment vivante, pour ne rien perdre de la force vitale de l’animal. Il constate, mais cela était connu depuis longtemps, qu’en touchant le nerf avec son scalpel, il induit une contraction du muscle relié au nerf. Je le répète, rien de nouveau. Mais un jour, il pratique sa vivisection pendant qu’une machine électrique tourne dans son laboratoire. Et il constate que les contractions musculaires de la patte sont plus fortes que d’habitude. Il relie alors son scalpel à la machine. Pas de doute. L’électricité excite fortement le nerf.
Galvani vient de découvrir l’excitabilité des nerfs de grenouille par l’électricité !
C’est fort bien, mais Galvani n’a pas que cela à faire.
Il vaque à ses occupations, mais sa découverte le rend soucieux.
Il recommence l’expérience, de temps en temps.
Jusqu’à ce fameux jour du 20 septembre 1786 ! Le professeur Galvani a préparé une patte de grenouille et il la fixe à un crochet de cuivre. Sans doute pris par autre chose, il accroche la patte à un objet en fer.
Il revient à la patte sur le balcon et il constate en la touchant que de vives contractions sont produites dans le muscle du pauvre batracien ! Galvani vient de faire sa seconde découverte.
Et il commet sa grande erreur.
Une erreur qui en engendrera une autre.
Mais deux erreurs, nous allons le voir, qui se révèleront fécondes.
Donc, voilà qu’une patte de grenouille se met à s’agiter même sans recevoir de l’électricité ! Conclusion du médecin de Bologne : la patte de grenouille est capable de produire de l’électricité et celle-ci, en retour, provoque les contractions du muscle. Galvani vient de découvrir ce qu’il va appeler l’électricité animale.
Il annonce sa découverte en 1791, dans une brochure publiée par la Typographia Instituti Scientiarum de Bologne, intitulée : De viribus electricitatis in motu musculari commentarius.
Il publiera encore un Memorie sulla elettricita animale en 1797.
En fait, Galvani s’est trompé. Il y a bien contraction du muscle sous l’action de l’électricité. Il y a bien aussi contraction si la patte est en contact avec du cuivre et du fer. Mais dans ce dernier cas, l’électricité contractant le muscle ne vient pas de l’animal, mais provient des métaux !
En tout cas, c’est comme ça que l’expérience est interprétée par un autre Italien, Alexandre Volta, un physicien, qui enseigne à l’Université de Pavie. Il s’intéresse beaucoup aux travaux de son compatriote et il se rend assez vite compte de l’erreur. Pour lui, l’électricité est produite par le contact entre deux métaux différents, le cuivre du crochet et le fer de la balustrade. L’électricité animale n’existe pas. Mais il existe bien une électricité métallique.
Les dernières années du XVIIIe siècle verront se développer une très belle polémique – et pas uniquement en Italie – entre les partisans de l’électricité animale et les tenants de l’électricité métallique. Jusqu’à ce qu’en 1800, Volta fasse l’expérience cruciale, qui va résoudre la question. Il réalise une pile, c’est-à-dire un empilement de disques métalliques, alternativement de cuivre et de zinc.
Il sépare les disques par des morceaux de tissu imbibés d’eau salée. Il veille à ce que le métal du sommet de la pile soit différent de celui de la base. Par exemple, cuivre au-dessous et zinc au-dessus.
Il fixe un ruban de métal à la base en cuivre. Il fixe un autre ruban métallique au sommet en zinc. Et il rapproche les extrémités libres des deux rubans. L’expérience est vraiment facile à reproduire, il suffit d’avoir quelques rondelles de métaux différents. On peut aussi utiliser le couple argent-zinc.
Des pièces de monnaie conviennent parfaitement. Et quand les rubans s’approchent suffisamment, il apparaît des étincelles.
Et si on touche une patte de grenouille avec ces rubans reliés à la pile, les contractions sont immédiates et très violentes.
C’est clair. Deux métaux différents en contact, ou en contact par l’intermédiaire d’eau salée, produisent de l’électricité !
Volta vient d’inventer la pile de Volta. Car, bien entendu, elle portera son nom. L’inventeur fait part de son invention au monde savant en faisant paraître un article On the electricity excited by the mere contact of conducting substances of different kinds dans les Philosophical Transactions of the Royal Society de Londres.
C’est une belle histoire, assez exemplaire, car on voit bien comment une découverte est faite, comment deux hommes l’interprètent tout à fait différemment et comment l’expérience initiale conduira à une nouvelle découverte.
Donc, on peut le dire, l’erreur de Galvani fut finalement féconde.
Mais l’histoire n’est pas finie. On continue à s’intéresser au galvanisme, mais on utilise maintenant ce terme dans un sens différent. Ce n’est plus la doctrine de Galvani, c’est le nouveau phénomène, bien réel, de l’électricité d’origine métallique qui est appelé galvanisme.
Les travaux et les publications abondent. En 1802, Jean Aldini, un médecin, un professeur à l’Université de Bologne, publie Saggio di esperienze sul galvanismo à Bologne. Ce qui l’intéresse, en tant que médecin, ce n’est pas l’électricité en elle-même, mais les effets de l’électricité sur les êtres vivants. En 1804, il publiera un Essai théorique et expérimental sur le galvanisme, avec une série d’expériences faites en présence des commissaires de l’Institut national de France, et en divers amphithéâtres anatomiques de Londres, chez Fournier fils, à Paris. L’ouvrage, assez copieux, comporte deux tomes, de respectivement 346 et 294 pages. En 1802, Charles-Frédéric Geiger publie une Dissertation sur le galvanisme et son application, à Paris. En 1803, Pierre Hubert Nysten publie ses Nouvelles expériences galvaniques, faites sur les organes musculaires de l’homme et des animaux à sang rouge, chez Levrault frères, à Paris. La même année, Jean-Baptiste-Jacques Thillaye publie Essai sur l’emploi médical de l’électricité et du galvanisme, à Paris. En 1804, Jean-André Deluc publie un Traité élémentaire sur le fluide électrico-galvanique, en deux volumes, chez la Veuve Nyon, à Paris.
Mais de quoi s’agit-il ?
De la résurrection des morts !
Pas moins.
L’idée est lumineuse. La vie, c’est le mouvement. L’électricité stimule le mouvement des êtres vivants. Pourquoi ne pas faire agir l’électricité sur un cadavre ? Ne pourrait-on pas, si le cadavre est en bon état, lui redonner le mouvement, c’est-à-dire la vie, à l’aide d’une pile de Volta suffisamment puissante ? Ce sera le programme de quelques médecins : Aldini, Geiger, Nysten, Thillaye, Deluc et il y en eut d’autres…
Lisons quelques passages de l’Essai théorique et expérimental de Jean Aldini. Il commence par définir le galvanisme : Galvani jeta le fondement d’une science nouvelle ; et la force excitée d’après ses principes, pour rendre hommage à la mémoire de son inventeur, reçut généralement le nom de Galvanisme. J’adopterai cette dénomination sans chercher, du moins pour le moment, à examiner s’il y a parité ou non entre le galvanisme et l’électricité, et s’il faut admettre ou exclure l’identité de ces deux principes. Ensuite, le professeur Aldini expose longuement le résultat de ses expériences avec divers animaux, grenouilles et autres.
Et quand nous arrivons à la page 121, l’auteur entame un nouveau chapitre, qu’il intitule Du pouvoir du galvanisme sur des suppliciés décapités à Bologne, en janvier et février 1802.
Il explique : De toutes les expériences exposées dans la section précédente, l’on pouvait conjecturer, par analogie, l’effet de l’action du galvanisme sur un sujet plus noble, sur l’homme (…). Il fallait donc saisir le cadavre humain dans le plus haut degré de la conservation des forces vitales après la mort ; et pour cela je devais, pour ainsi dire, me placer à côté d’un échafaud, et sous la hache de la loi, pour recevoir de la main d’un bourreau des corps ensanglantés (…). Je profitai donc de l’occasion de deux criminels décapités à Bologne, que le gouvernement accorda à ma curiosité physique (…) l’amour de la vérité, et le désir de répandre quelques lumières sur le système du galvanisme, l’emportèrent sur toutes mes répugnances, et je passai aux expériences suivantes.
Je ne vais évidemment pas transcrire dans le détail toutes les phases des expériences de Jean Aldini, que le lecteur peut d’ailleurs imaginer assez aisément. Bornons-nous à une dernière citation.
La tête fut d’abord soumise à l’action du galvanisme, par le moyen d’une pile à 100 plaques d’argent et de zinc : deux fils métalliques, dont l’un partait de la base, l’autre du sommet de la pile, venaient aboutir à l’intérieur des deux oreilles, humectées avec de l’eau salée.
Je vis d’abord de fortes contractions dans tous les muscles du visage, qui étaient contournés si irrégulièrement, qu’ils imitaient les plus affreuses grimaces. L’action des paupières fut très-marquée, quoique moins sensible dans la tête humaine que dans celle du boeuf.
On imagine l’intérêt du public pour ces recherches macabres.
On se munit d’un cadavre récent, décapité ou, mieux, pendu, on le met en contact avec une pile de grandes dimensions, et le cadavre est pris de fortes secousses, grimace, ferme et ouvre ses paupières…
Hélas, il ne renaît pas…
Résumons.
Galvani croit que les êtres vivants produisent de l’électricité.
Volta pense que l’électricité mise en évidence par les expériences de Galvani est d’origine métallique et pas d’origine animale.
Erreur de Galvani. Et invention de la pile de Volta. En fait, c’est l’origine de tout un domaine de la physique et la source des techniques électriques, puis électroniques : moteurs, éclairage, téléphone, télécommunications, télévision, informatique, robotique, etc.
Dès que l’on dispose des sources d’électricité commodes que sont les piles voltaïques – plus efficaces que les vieilles machines à frottement – des médecins pensent à réveiller des morts. Nouvelle erreur. Car aucun cadavre n’a ressuscité.
Mais quelques décennies plus tard, l’idée va réapparaître, alors que la physique et la médecine auront progressé de manière considérable. Et l’erreur de 1800 devient le succès de la fin du XXe siècle. Aujourd’hui, dans les hôpitaux, il est devenu banal de ramener à la vie des personnes cliniquement mortes, en soumettant le coeur à un choc électrique suffisamment puissant.
Je ne vais pas résumer l’histoire de ce galvanisme nouvelle époque, mais il est intéressant de savoir que c’est l’Américain Claude S. Beck qui met au point le massage électrique du coeur en 1947. Sa publication date du 13 décembre : Ventricular fibrillation of long duration abolished by electric shock, paraissant dans le Journal of the American Medical Association. J’ajouterai que la stimulation électrique cardiaque est inventée par un autre médecin américain, Paul M. Zoll, en 1952. Il mettra au point le défibrillateur électrique du coeur en 1956.
Deux erreurs, mais quels résultats !
Il y eut même un résultat littéraire, un peu inattendu.
Le public, je l’ai dit, fut très impressionné par les spectaculaires expériences du galvanisme, au tout début du XIXe siècle.
Ranimer un mort grâce à la science. Autant dire, fabriquer un homme artificiel.
Le 1er janvier 1818, Mary Shelley fait paraître son roman Frankenstein or the modern Prometheus chez Lackington, Hughes, Harding, Mavor & Jones, à Londres.
Elle y raconte, avec grand talent, les recherches du docteur Frankenstein, qui parvient à coudre ensemble des morceaux de cadavres, qui reconstitue un homme complet et qui lui redonne la vie par le moyen d’une machine électrique.
En fait, le récit apparaît sans nom d’auteur. Mais le succès est considérable et une deuxième édition, dûment signée, paraît en 1823. On connaît le succès durable du roman, véritable prototype de la science-fiction. Il fut évidemment inspiré par les essais des scientifiques de créer la vie, de ranimer des cadavres humains. Une erreur scientifique. Certainement pas une erreur littéraire !…
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