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Quand la famille royale française vivait en Brabant wallon

Anne de France est née en 1460 à Genappe. Comment se fait-il qu’une fille de roi de France, future régente du Royaume, fut née en plein Brabant aujourd’hui wallon ?

Le dauphin, qui règnera un jour sous le nom de Louis XI, et pour ses ennemis sous celui d’« universelle aragne », ne s’entend pas avec son père Charles VII. Il a précédemment passé dix années en exil volontaire dans son apanage du Dauphiné. Il prend la fuite lorsque son père fait envahir la province le 30 août 1456, pour le contraindre à revenir à la Cour. Sous le prétexte d’une partie de chasse, activité dont il est friand, Louis, accompagné d’une petite escorte, met le cap sur Chalon en terre bourguignonne puis, à travers la Lorraine, sur Bruxelles où il parvient, le 15 octobre de cette même année. Le dauphin Louis espère trouver refuge auprès de son « bon oncle », le duc Philippe III de Bourgogne. Celui-ci le reçoit avec tous les honneurs dus à son rang, lui octroyant le château de Genappe comme résidence, ainsi qu’une pension annuelle de 36 000 livres.

Le duc de Bourgogne peut difficilement refuser l’asile au dau phin de France, même s’il le sait en délicatesse avec son père, Charles VII de France. Il faut d’ailleurs se rappeler que Philippe le Bon tient le roi de France pour directement responsable du meurtre de son père, Jean sans Peur, à Montereau en 1419. De ce fait, les relations entre les deux souverains sont toujours empreintes d’une certaine froideur. L’histoire officielle nous dit que, lorsque Philippe le Bon offre au dauphin Louis de choisir sa résidence, il jette son dévolu sur le château de Genappe. C’est possible mais il semble bien que le duc de Bourgogne, désireux de garder sa totale liberté de mouvement, préfère « orienter » le choix de Louis plutôt que de l’avoir constamment dans les pieds à Bruxelles. Ce qui est certain, c’est que le but du duc est pleinement atteint puisque le dauphin, en cinq années, ne met pratiquement jamais le nez hors de Genappe. Tout au plus assiste-t-il à quelques somptueuses fêtes données à la cour de Bruxelles. Il n’empêche : Louis met ces années à profit pour observer attentivement les gens et les choses, commençant déjà à tisser la toile dans laquelle le fils de son hôte, Charles le Téméraire, allait se prendre.

Au fil du temps, l’atmosphère se détériore sensiblement entre Genappe et Bruxelles. Un chroniqueur populaire en vient à écrire : « Après l’arrivée du dauphin, jamais plus il n’y eut de paix parmi les nobles de la cour du duc Philippe. Dès le début, on répéta que son arrivée était un mauvais présage, et cela se révéla juste. Il n’était jamais tranquille et toujours il connaissait de France, en secret, la volonté de son père ». À se demander si le dauphin n’était pas un agent double…

En 1457, Louis a la satisfaction de voir arriver sa femme, Charlotte de Savoie, qu’il a épousée contre l’avis de son père, et le 17 juillet 1459, à Genappe, la dauphine met au monde un fils que l’on appelle Joachim. Le choix de ce prénom, celui du père de la sainte Vierge, laisse perplexe. Qu’avait donc en tête Louis en donnant ce nom, totalement inusité dans la dynastie capétienne, à un enfant qui, normalement, devait régner sur la France ? La chronique raconte que Philippe le Bon accueille la nouvelle de cette naissance avec beaucoup d’enthousiasme. Il fait à l’enfant et aux parents des cadeaux somptueux et il tient à être parrain du petit Joachim : « De raconter les honneurs et richesses qui furent faits, ce serait trop longue chose ». L’enfant ne vit qu’un peu plus de quatre mois. Ses funérailles à Sainte-Gudule, à Bruxelles, sont somptueuses, puis on l’enterre dans la basilique de Hal, où l’on peut toujours voir son mausolée.

Les quatre premiers enfants du futur Louis XI et de sa femme Charlotte de Savoie naissent au château de Genappe : trois enfants morts jeunes, puis Anne (1461-1522), future dame de Beaujeu (1474), duchesse de Bourbon et d’Auvergne (1488), comtesse de La Marche et enfin, régente de France (14831492) pendant la minorité de son frère cadet Charles VIII. Peu de temps après la naissance d’Anne, des messagers annoncent aux hôtes de Genappe la mort de Charles VII, le 22 juillet 1461. Louis XI prend aussitôt ses dispositions pour quitter ces contrées et s’en aller prendre possession de son royaume. On ne le reverra dans les parages qu’en 1468 quand il traversera le pays pour aller avec Charles le Téméraire mettre à sac et incendier la malheureuse ville de Liège révoltée.

Anne, le seul des enfants brabançons survivant, fait parler d’elle des années durant : « C’est la femme la moins folle de France, car pour sage je n’en connais point ». Cette phrase est de Louis XI, père d’Anne de France, plus connue sous le nom d’Anne de Beaujeu. Dans la bouche du roi c’était un véritable compliment… Ce misogyne invétéré a une réelle admiration pour sa fille. Et il a raison, une fois de plus. Sa parfaite connaissance de la nature humaine lui a en effet permis de choisir la bonne personne pour tenir les rênes de l’État pendant la minorité du futur Charles VIII. Anne est la fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie. À 14 ans elle est mariée à Pierre de Bourbon, seigneur de Beaujeu, qui a toute la confiance du roi son père. Il a également… 22 ans de plus qu’elle. Cet homme profondément intègre et honnête, le plus grand soutien de son épouse, n’interviendra jamais directement, mais sera toujours présent dans la vie de la Régente.

C’est le jour même de sa mort, le 30 août 1483 que Louis XI confie la tutelle de Charles VIII et le gouvernement de la France à Anne de Beaujeu, utilisant la fameuse phrase du début pour expliquer son geste aux témoins étonnés de son choix. Le roi est à peine tiède que certains princes, sous la conduite de Louis d’Orléans (futur Louis XII) et beau-frère de la Régente, s’opposent à celle-ci et revendiquent le gouvernement. Pour eux, Charles VIII étant âgé de 13 ans, doit gouverner assisté d’un Conseil et les nouveaux opposants veulent former ce Conseil.

Anne, en digne fille de son père, compose et invite les grands du royaume au château d’Amboise : sont présents le duc d’Orléans, bien sûr, mais aussi le duc d’Alençon, le comte de Dunois et le duc de Bourbon, frère de Pierre de Beaujeu mais néanmoins son ennemi. La Régente amadoue les révoltés avec des récompenses, faisant connétable le duc de Bourbon, gouverneur du Dauphiné le comte Dunois, et nommant Louis d’Orléans gouverneur militaire de Paris, en lui octroyant de plus une pension de vingt-quatre mille livres. Mais celui-ci, décidément insatiable, en appelle aux États Généraux. Anne convoque alors ce petit monde tout en désignant un délégué pour chaque ordre : noblesse, clergé et état commun pour la première fois appelé tiers-état. Les trois ordres nomment leurs députés et ceux-ci siègent à Tours du 15 janvier au 14 mars 1484. Évidemment, Anne de Beaujeu va mettre en œuvre toute sa ruse, sa diplomatie et son sens politique très « louis onzième » pour faire triompher sa cause. Quant à Louis d’Orléans, persuadé d’avoir gagné, il parade tel un paon et étale devant l’assemblée très agacée sa fortune et sa légèreté. Le duc fait tout de même intervenir l’évêque du Mans, on ne sait jamais…

Le 5 février 1484, le sénéchal de Bourgogne Philippe Pot, représentant de la Princesse prend la parole. Il invoque le principe de la souveraineté, qui dénie le droit naturel des princes à gouverner. Les députés s’en remettent à la sagesse du roi, donc à la Régente. Le duc d’Orléans, qui n’obtient même pas d’être nommé tuteur de Charles VIII, est très fâché et surtout vexé. Il se révolte ouvertement contre le pouvoir, entraînant dans son sillage la noblesse de Bretagne. Ce mécontentement du duc d’Orléans engendre la « Guerre folle », qui se termine avec l’emprisonnement de l’insoumis en 1488. Pendant ce temps, Anne de Beaujeu doit faire face aux seigneurs du sud-ouest, qui, ayant des velléités d’indépendance, ne se doutent pas qu’ils vont être mis au pas par une femme à l’énergie guerrière. L’expression « une main de fer dans un gant de velours » trouve ici toute sa signification. Le 9 septembre 1488, le duc de Bretagne François II vient à mourir. Il est hors de question de laisser échapper cette province tant convoitée. La Régente se charge du règlement de la succession, faisant rompre définitivement l’union (établie par procuration, mais valable) de la petite duchesse héritière avec Maximilien de Habsbourg. Le nouvel époux est tout trouvé : il se nomme Charles VIII.

Anne de Bretagne a donc failli être la belle-mère du roi de France. Ce mariage est fort important, car il est le premier pas vers l’annexion du Duché de Bretagne par la couronne de France. Le 6 décembre 1491, Anne de Bretagne épouse en deuxièmes noces au château de Langeais le roi de France Charles VIII. Partant du principe qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud et surtout craignant un coup de force des Autrichiens, ce mariage se déroule trois mois avant que ne parvienne à la cour l’acte d’annulation du Pape, d’ailleurs antidaté par celui-ci. Si la reine de France ne pouvait être bigame, elle le fut pourtant dans les faits.

Le jour du mariage, le génie d’Anne de Beaujeu frappe encore. Elle fait signer à la petite duchesse aux hermines, lors de l’échange des contrats, une clause stipulant qu’en cas d’absence d’héritier mâle, il est convenu qu’elle a l’obligation d’épouser le successeur de Charles VIII. De cette façon la Bretagne reste française. Si Anne et Charles ont un fils, il sera roi et gardera le Duché dans son apanage. Sinon la reine devra convoler avec le nouveau roi de France, ce qui accroît les chances d’enfanter un prince… Mais Anne ne peut être régente indéfiniment. Le petit roi commence à ronger son frein. Cela fait huit ans qu’il attend de régner. C’est maintenant un grand garçon de vingt et un ans et il fait clairement comprendre à sa sœur aînée qu’il est temps de raccrocher. Après avoir on ne peut mieux servi la France, Anne de Beaujeu s’éloigne alors du trône. En 1503, Pierre de Beaujeu s’éteint laissant Anne administrer avec le talent qu’on lui connaît les terres des Bourbons. La régente de France reparaîtra sur la scène politique quelques années plus tard, en apportant son appui à son gendre, connétable de Bourbon, accusé de trahison par le roi François 1er.

Anne de Beaujeu a 23 ans à la mort de Louis XI et, malgré sa jeunesse elle a prouvé l’excellence de son administration. En mettant au pas les grands seigneurs et en agrandissant le royaume, et tout cela sans verser le sang du peuple, elle a ainsi parachevé l’œuvre de son père.

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