C’était dans les années 50, à l’âge d’or du panarabisme, cette doctrine inspirée de la renaissance arabe, la Nahda, qui célèbre l’héritage arabe musulman, mais aussi une libéralisation des mœurs. L’Égypte des années 50 est celle d’un pays fraichement libéré des Anglais, fier, qui porte des robes et fume des cigarettes.
Une vidéo de cette époque montre le président du pays, Nasser, et un discours ponctué de rires. Au moment de prendre le pouvoir par la force au roi Farouk en 1953, le général raconte qu’il a négocié avec un groupe politique montant à l’époque, et aujourd’hui reconnu terroriste par plusieurs pays dont l’Égypte : les Frères musulmans.
« En 1953, nous voulions vraiment, honnêtement, collaborer avec les Frères musulmans, pour qu’ils progressent dans le droit chemin. J’ai rencontré le conseiller général des Frères musulmans, et j’ai écouté ses demandes. Il a demandé quoi ? D’abord, m’a-t-il dit, il faut que tu imposes le voile en Égypte et que tu ordonnes à chaque femme qui sort dans la rue de se voiler. »
Déjà, la foule rit de cette affirmation. Nasser, ironiquement, feint avec des gestes un air de « pourquoi pas, mais… », qui amuse la foule. Le voile, à l’époque, est une absurdité.
« À chaque femme ! Dans la rue... », répète-t-il en riant.
« Qu’il le porte lui-même ! » scande un homme dans la foule. Et au Général de rire, et au public de cette représentation comique d’applaudir en se tordant.
Il continue : « Et moi, je lui ai répondu que c’était revenir à l’époque où la religion gouvernait, et où on ne laissait les femmes sortir qu’à la nuit tombée. Rires. Moi, à mon avis, chacun est libre de ces choix. Il m’a dit : non ! C’est à toi de décider en tant que gouverneur. Je lui ai répondu : Monsieur, vous avez une fille à la faculté de médecine. Elle ne porte pas de voile. Pourquoi ne l’obligez-vous pas à le porter ? Si vous… Nasser est interrompu par la foule qui l’applaudit et qui rit franchement. Si vous n’arrivez pas à le faire porter à une seule fille qui est la vôtre, comment voulez-vous que je le fasse porter à 10 millions d’Égyptiennes ? »
Dans les années 50, le peuple égyptien, il faut aussi le dire, adule son raïs le général Nasser, anti colonisation et libérateur. S’il rigole, c’est aussi, car il est son président tout puissant, et qu’il a pris le pouvoir par la force ! Cependant, ça n’a pas l’air de gêner les Égyptiens, de se moquer de cette tradition islamique qu’on ne pratique plus au Maghreb à cette époque.
L’association des Frères musulmans est fondée en 1928 par Hassan el Benna, qui estime que le panarabisme est bien trop pacifique pour jeter hors de l’Afrique les colons européens qui ont trop abusés de leurs richesses. L’organisation se développe vite au Caire, et puise ses recrues dans la jeunesse pauvre, et l’arme considérablement. Ils sont soutenus par les É.-U. dans les années 50, car ils sont les principaux opposants de Nasser, lequel montre beaucoup d’agressivité à leur égard… L’organisation participe à la révolution iranienne, puis est interdite en tant que parti politique en Égypte. Les Frères musulmans deviennent internationaux et sont soutenus par le Qatar, la Turquie.
En 2011, le parti Liberté et Justice et le candidat Mohammed Morsi, issu des Frères Musulmans, gagent les élections législatives à 37,5%. Mohammed Morsi sera par la suite président de la République arabe d’Égypte du 30 juin 2012 au 3 juillet 2013. Ce courant est, comme beaucoup d’autres, l’expression d’un opportunisme idéologique qui a contaminé une région du monde, bien que ces mêmes peuples aient pu la mépriser, la trouver choquante. Il tire son pouvoir d’une tradition archaïque du pays dans lequel il se repend. Le peuple, lui, a la mémoire courte.
Plus tôt, les Français ont parodié des expressions antisémites de Jean-Marie Lepen, et trouvé sa fille et le Front national trop extrême dans sa politique étrangère. Pourtant, ils rient de moins en moins.
Auteur : Léa Petitdemange