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Hommage de la France à la Cité ardente
En août 1914, la résistance inattendue de la Belgique – en particulier des forts de Liège –, exaspéra l’armée allemande, retarda de quatre jours l’invasion de la France, ce qui aurait contribué au succès de son armée lors la bataille de la Marne. Au lende- main de la guerre, le président Poincaré viendra rendre hom- mage à la « Cité ardente » et la décorer de la Légion d’honneur pour sa résistance héroïque.
Des villes et villages furent incendiés, des civils déportés ou massacrés avec des raffinements de cruauté, comme en témoi- gne notamment le carnet de route d’un soldat saxon du 178erégiment :
«Village incendié au nord de Dinant. À l’entrée du village gisaient encore cinquante habitants fusillés pour avoir par guet-apens tiré sur nos troupes. Au cours de la nuit, beaucoup d’autres furent fusillés, si bien que nous pûmes en compter plus de deux cents. Des femmes et des enfants, la lampe à la main, furent contraints d’assister à l’horreur du spectacle. »
Un grand nombre d’otages furent aussi fusillés à Dinant même et à Andenne. À Ethe, petit village gaumais, 277 personnes périrent en quelques jours, certains à coups de lance. Parmi eux, 206 habitants du village – soit 1 sur 9 – dont 256 maisons furent détruites. À Louvain, 218 civils perdirent la vie, 1120 bâtiments furent détruits, dont la riche Bibliothèque de l’Université de Louvain, incendiée le 25 août, etc.
L’enfer des tranchées
Bien des témoins ont décrit les souffrances des martyrs des tranchées : la boue dans laquelle les poilus s’enfonçaient jusqu’à mi-cuisse ou se noyaient, les rigueurs de l’hiver qui provoquaient des gelures mutilantes, parfois mortelles; de fréquents maux de ventre et de diarrhée; l’enterrement de vivants au fond de leurs terriers s’écroulant sous le poids de la neige ou minés par la pluie, sinon à cause des pilonnages; la soupe qui arrivait froide – quand elle arrivait – après avoir circulé dans des kilomètres de boyaux. La plupart des hommes souffrirent des problèmes de ravitaillement. Des assoiffés en furent réduits à boire l’eau stagnante des trous d’obus avant de constater qu’y baignait encore quelque cadavre! L’hygiène était le moindre des soucis. Les combattants déféquaient dans leurs vêtements dont ils ne changeaient pas pendant des semaines. Des trous étaient bien creusés à cet effet, mais, sous l’effet des relèves, de la pluie et des bombes, ils étaient vite transformés en cloaques immondes, quand ils ne disparaissaient pas complètement. Paresse, faiblesse ou peur de s’éloigner de l’abri n’incitait pas à s’y déplacer. Quand l’eau de refroidissement venait à manquer pour une mitrailleuse, on n’hésitait pas à uriner sans pudeur dans des boîtes de conserve. Omniprésents, les rats grignotaient morts ou blessés. Les corbeaux se régalaient de cadavres encore chauds. Les dépouilles, abandonnées sur place durant des jours ou définitivement, se gonflaient sous l’effet des gaz et de la chaleur, dégageant des odeurs insupportables pour l’entourage. Parfois, il fallait combattre dans de véritables charniers et quand des cimetières étaient improvisés, ils étaient presque aussi vite labourés par les obus, mutilant à nouveau les cadavres exhumés. Puisque la mort était partout, la vie humaine semblait n’avoir plus de prix. Les pilonnages intensifs et peut-être plus encore leur vacarme, l’attente interminable de l’attaque et de la sortie effective des tranchées usaient les nerfs. L’angoisse permanente ou les peurs subites, que la gourde d’eau de vie n’arrivait pas à calmer, provoquaient sanglots, vomissements, diarrhées, convulsions, folie ou suicide chez les plus fragiles. Pour les névroses en tout genre, les psychiatres préconisaient l’électrothérapie, même si Freud en avait dénoncé l’inhumanité et contesté l’efficacité. Leur conviction était que l’ébranlement nerveux provoqué par l’électrochoc devait arracher le malade à ses fixations psychologiques et lui permettre de repartir au front. Mais on était ainsi plus proche de la torture que de la médecine. Par la frayeur qu’il provoquait, le procédé était en même temps censé débusquer les déserteurs en puissance. On sait, par plusieurs témoignages, qu’un médecin autrichien, Kozlowski, ne se contentait pas d’appliquer l’électricité au bout des membres, mais aussi sur les testicules et le bout des seins.
Aussi, malgré un courage et un patriotisme qu’il ne faut sans doute pas mésestimer, ne soyons pas surpris que des hommes se mutinèrent (1917), désertèrent, se cachèrent ou trouvèrent un bon prétexte pour ne pas monter au feu, mais à leurs risques et périls. En effet, le chef disposait du droit de vie et de mort sur ses hommes et des gradés étaient placés à l’arrière des assaillants pour fusiller au besoin ceux qui voudraient se défiler. Si nombre d’exécutions sommaires pour refus de combattre sont attestées, les cas ne furent sans doute pas légion en raison de leur pouvoir de dissuasion, de la honte et de la pression qui pesaient sur les familles d’accusés de lâcheté.
Ce constat n’empêche pas d’estimer que les mutineries étaient pleinement justifiées, notamment par le mépris de la vie humaine dont firent preuve les généraux qui organisaient de véritables attaques-suicides avec, à la clef, des bataillons entiers tués en vingt minutes. Se mutiner, c’était faire preuve de vrai courage. Quant aux procès qui aboutirent à des exécutions, ils n’étaient le plus souvent que parodies. Encore de nos jours, des familles autrefois déshonorées tentent de réhabiliter l’un ou l’autre de leurs aïeux mobilisés, victimes de ces répressions.
Témoignages de poilus
Fléau des rats, des poux et de la vermine. –
«Un soir, Jacques, a vu s’enfuir des rats de dessous les capotes déteintes de corps gisants, des rats énormes, gras de chair humaine. Lui-même, le cœur battant, rampait vers un mort dont le casque avait roulé à terre. La tête n’était plus qu’un crâne grimaçant, aux orbites vides. Un dentier avait glissé sur la chemise décomposée et soudain, de la bouche béante, une bête immonde surgit.
En deuxième ligne ou au repos, on tâchait d’épouiller son linge. Mais le reste du temps, on se grattait sans arrêt, parfois jusqu’au sang. Quand on apercevait un pou, on le tuait d’une chiquenaude. Deux ongles écrasant un pou... Fameux ! Alors ils raflent les plus beaux, les plus rosses... Ils les foutent dans une boîte d’allumettes et les expédie franco de port aux embusqués de chez eux. »
«Pour les tranchées, le comble non dépassé de l’horreur, ce fut partout la vermine, écrit un autre poilu. Musique étrange entendue toute une nuit, au-dessus d’un abri nouveau, musique identifiée seulement avec le jour : sur nos épaules tombaient en pluie des asticots qui, toute la nuit, avaient fait sur nos têtes, en rongeant un ventre, ce long froissement de soie...»
La peur au ventre. –
Roland Dorgelès témoigne de ces moments interminables où les soldats recroquevillés restaient blottis les uns contre les autres :
« Sous le bombardement infernal, on eut un instant d’hébétude. On restait affalé, les mains entre les genoux, la tête vide. Dans une boîte de singe (viande en conserve) que l’on se passait de main en main, on se soulageait. Puis, nerveusement, on se remit à parler vite, plus vite. [...] Mais le bélier terrible parut se rapprocher encore dans une rage de tonnerre, et les bavards se turent. [...] Un grand coup éclata, broiement de ferraille, et le vent souffla notre bougie. Avec l’ombre, l’angoisse nous étreignit. »
Lettre réconfortante pour la famille. –
On peut lire cette appréciation pour le moins surprenante dans une lettre rédigée le 6 octobre 1914 par Robert Boisfleury, officier catholique :
«Je vis une délicieuse vie au bruit du canon: la guerre est une belle chose! Je voudrais que vous fussiez des nôtres: quelle bonne partie de rire nous nous payerions! Nous nous livrons à la guerre de siège en rase campagne. Tout à l’heure, un gros morceau de fonte est tombé dans ma tranchée sans que j’interrompe ma lecture. Ici, on est heureux de vivre. Pourtant, le lieutenant B... va mourir : le capitaine B... lui succède : tant pis ! »
L’enfer de Douaumont
Lorsque les soldats coloniaux d’Afrique française entamèrent la reprise du fort de Douaumont, le 20 octobre 1916, les gaz de leur artillerie étaient si insoutenables et les dégâts infligés au fort si importants que les Allemands durent réorganiser leur défense. Leurs mitrailleurs et artilleurs titubaient et vomissaient partout, au point de devoir être remplacés toutes les cinq minutes. Certains se blessaient en tombant dans les trous d’obus tant la fumée était dense, d’autres en glissant sur des vomissures ou des excréments. Ils manquaient tellement d’oxygène, et par conséquent de force, que la moindre chute pouvait leur être fatale. C’est ainsi qu’un grand nombre d’entre eux mouraient, gisant sur le sol en proie à des convulsions, sanglotant de peur et de douleur. De la centaine d’Allemands du fort, il restait vingt survivants quand il se rendit, le 24 octobre.
Monstrueuse Grosse Bertha
C’est le surnom que les Allemands donnèrent, en l’honneur de Bertha Krupp, fille héritière d’Alfred Krupp, au colossal canon M 42 allemand de 420 mm sorti des usines de ce dernier, capable d’envoyer depuis une plate-forme métallique des obus de plus de 400 kilos à 100 kilomètres. L’importance de la charge obligeait à changer les tubes tous les 65 coups. Le mastodonte fut conçu dès 1908 pour percer les fortifications françaises de 3 mètres de béton armé et briser leurs tourelles en acier. Le monstre fut utilisé pour la première fois en août 1914 contre les forts de Liège et d’Anvers. Inutile de dire que l’adjectif grossen’était pas une allusion au physique de la brave dame, mais au poids de 750 tonnes de l’obusier. La pauvre dut être soulagée lorsqu’on rebaptisa la Dicke Bertha par Fleissige Bertha (Bertha l’assidue), mais, hélas pour elle, l’histoire n’a retenu que la première formule. En France, on a pris l’habitude de désigner par ce nom le canon utilisé pour bombarder Paris entre le 23 mars et le 9 août 1918, mais il s’agit en fait d’un modèle très différent.
Bilan et conséquences des pertes humaines
La Grande Guerre fit 9 millions de morts, dont environ un million et demi de Français. Le bilan est terrible, mais on sait peu que durant la seule année 1918, l’épidémie mondiale de grippe espagnole tua 20 millions de personnes, dont 550000 aux Etats-Unis et 200 000 en France. Il faut ajouter au drame de 14-18 le nombre inestimable de blessés et de grands mutilés de guerre. On a pu parler d’un « massacre des élites » car, aussi bien en France qu’en Allemagne, un cinquième des hommes
de 20 à 40 ans disparut ou fut inapte au travail. Parmi eux, un grand nombre de jeunes gens qui achevaient ou venaient de terminer leurs études supérieures. Cet état de fait maintint au pouvoir la vieille génération du XIXe siècle, peu apte à s’adapter à l’évolution du monde. Ceux qui eurent vingt ans en 1920 eurent l’impression d’un profond décalage qui les incitera à tout bouleverser. Dégageons toutefois un point positif : la nécessité d’employer des femmes pour suppléer à la carence des hommes, mobilisés ou décédés, fut une étape déterminante dans le lent mouvement d’émancipation féminine.
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