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Le 5 avril 1968, le lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, Robert Kennedy, l’Attorney General des États-Unis (l’équivalent du ministre de la Justice), prononçait un discours à Cleveland, dans l’Ohio. Il s’agissait d’une attaque virulente contre les haines et des préjugés qui semblaient alors déchirer l’Amérique. « Qu’est-ce que la violence a jamais accompli ? demanda-t-il. Qu’a-t-elle jamais créé ? La balle d’un assassin n’a jamais immobilisé la cause d’un martyr… Personne, qu’importe où il vive ou ce qu’il fasse, ne peut être certain du prochain qui souffrira d’une telle effusion de sang insensée. » Un mois plus tard exactement, Kennedy lui-même était la cible de la balle d’un assassin. A cette époque, aucun homme politique n’était en sécurité en Amérique.
Robert Francis « Bob » Kennedy était certainement destiné à devenir président des États-Unis. En mars 1968, le président Johnson avait finalement annoncé qu’il ne se représenterait pas aux élections présidentielles et qu’il se retirait pour laisser la place à son vice-président, Hubert Humphrey. Mais à ce moment-là, Kennedy avait déjà clairement devancé son principal rival démocrate, Eugene McCarthy, au début des primaires. Ses idées réformistes et passionnantes, et toute sa jeunesse semblaient alourdir Humphrey, ce vieil homme qui représentait bien l’Establishment. Quant à Richard M. Nixon, le favori du parti républicain qui avait perdu de peu contre John F. Kennedy en 1960, il ressemblait à une image du passé, ternie et abîmée.
En juin 1968, Kennedy battit McCarthy lors de l’étape cruciale des élections primaires, et remporta les voix de la Californie. La voie vers la nomination démocrate, et ensuite vers la présidence, semblait ouverte. Les espoirs exaltants qu’avait éveillés l’élection de son frère John, en 1960, et qui avaient été prématurément balayés par son assassinat en 1963, pouvaient à présent être comblés.
Pourtant, quelques minutes après avoir affirmé sa victoire, un peu après minuit le 5 juin, l’homme que beaucoup s’attendaient à voir devenir président fut abattu par balle. Quatre jours plus tard, son ancien adversaire politique, le président Johnson, déclara officiellement une journée de deuil national pour répondre à la marée de tristesse que suscitait chez les citoyens la mort prématurée de Kennedy.
Robert Francis Kennedy naquit le 20 novembre 1925. Il était le septième enfant de l’ambitieux Joseph P. Kennedy et de sa très patiente épouse, Rose. Robert fut envoyé à Harvard, où il étudia le droit, et commença sa carrière au département de la Justice des États-Unis. En 1952, il démissionna pour gérer la campagne qui aboutit à l’élection de son frère comme sénateur du Massachusetts. Après un tel succès, John fit de nouveau appel à lui pour organiser sa campagne présidentielle, sept ans plus tard. Entre-temps, Robert (« Bob ») Kennedy s’était fait un nom en tant qu’obstiné avocat principal du « Senate Labor Rackets Committee », où il s’opposa aux leaders du crime organisé et aux patrons de syndicats corrompus, notamment Jimmy Hoffa et son syndicat des routiers.
Après la victoire de son frère aux élections présidentielles de 1960, Robert fut nommé Attorney General (ministre de la Justice). Pour la première fois, l’occupant de ce poste exerçait une nette influence dans tous les domaines. En effet, le président Kennedy sollicitait souvent l’avis, ou les conseils, de son jeune frère. En tant qu’Attorney general, Robert Kennedy poursuivit son impitoyable croisade contre le crime organisé, et était très souvent en net désaccord avec le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, qui continuait à nier l’existence de la mafia. Le nombre de condamnations contre des personnages importants du crime organisé se multiplia par huit durant son mandat. Inévitablement, cette campagne lui mit à dos les grands chefs de la criminalité et les patrons des syndicats corrompus.
Kennedy était également un fervent promoteur de la législation sur les droits civiques. Pendant qu’il occupait le poste d’Attorney General, il entreprit le plus énergique dégraissage de l’administration que le Capitole ait jamais connu. Il exigea que chaque département du gouvernement commençât à recruter un nombre raisonnable de travailleurs, noirs et issus de différentes ethnies, et il alla même jusqu’à critiquer le vice-président Johnson – qui n’avait jamais été un fervent admirateur des deux Kennedy – parce qu’il n’avait pas « aboli » la ségrégation raciale au sein de son propre personnel. En septembre 1962, il envoya des marshals et des troupes fédérales à Oxford, dans le Mississippi, pour faire respecter un arrêté fédéral et faire rentrer à l’université du Mississippi le premier étudiant afro-américain, James Meredith. L’événement avait déclenché des émeutes qui durèrent des jours, mais Kennedy ne céda pas car selon lui, les étudiants afro-américains devaient pouvoir profiter pleinement des bénéfices de tous les niveaux du système d’enseignement.
Neuf mois après l’assassinat de son frère, en novembre 1963, Robert Kennedy quitta le gouvernement – qui était à présent aux mains de son vieil ennemi Lyndon B. Johnson – pour se présenter aux élections sénatoriales de l’État de New York. Kennedy remporta une victoire écrasante et, au cours des années qui suivirent, il lança diverses campagnes pour combattre la pauvreté, abolir la ségrégation dans les bus, accroître l’inscription électorale, renforcer les droits de l’homme et – ce qui lui valut d’être fort controversé – mettre un terme à l’escalade de l’intervention américaine dans la guerre du Vietnam.
En janvier 1968, le président Johnson commença sa campagne de réélection, priant le sénateur Kennedy d’annoncer qu’il ne se porterait pas candidat à la présidence. Cependant, après que Johnson eut remporté de justesse les élections primaires dans le New Hampshire contre le peu connu sénateur McCarthy, Kennedy changea d’avis et posa sa candidature. Le 16 mars 1968, il déclara :
« je ne me porte pas candidat à la présidence dans le simple but de m’opposer à quiconque, mais pour proposer de nouvelles politiques. Je me présente parce que je suis convaincu que ce pays est en danger et parce que j’ai vraiment l’impression de savoir ce qui doit être fait, et je sens que je suis obligé de faire tout ce que je peux. »
Les partisans de McCarthy, en colère, traitèrent Kennedy d’opportuniste, mais le 31 mars, Johnson suscita l’étonnement général en abandonnant la course à la présidence. Le vice-président Hubert Humphrey entra dans la course à sa place, comptant sur le soutien des syndicats et des membres du gouvernement. Il arriva trop tard pour les primaires, mais il bénéficiait du soutien du président et de plusieurs personnalités démocrates.
Quant à Robert Kennedy, il envisageait de remporter la nomination démocrate, et en fin de compte la course à la présidence, comme son frère l’avait fait avant lui, c’est-à-dire en gagnant le soutien populaire lors des primaires, en s’adressant directement aux citoyens sans se soucier de l’Establishment.
Les principes que Kennedy défendait durant sa campagne étaient tout à fait libéraux. Il demandait une justice raciale et économique, une position de non-agression en matière de politique étrangère (une allusion désobligeante à la grande implication de Johnson en Indochine), la décentralisation du gouvernement et un programme ambitieux d’amélioration sociale. Il fit l’éloge des jeunes, qu’il visait tout particulièrement, et il n’hésita pas à les identifier comme étant les représentants du futur d’une société américaine revigorée basée sur le partenariat et l’égalité.
Le sous-entendu était très clair : Kennedy incarnait la promesse du futur de l’Amérique, Humphrey (et Nixon) les échecs et les compromis du passé. La victoire de Kennedy lors des primaires de Californie élimina McCarthy de la course. Dans la même journée, sa victoire contre Humphrey dans l’État dont celui-ci était originaire, le Dakota du Sud, laissait à penser que Humphrey non plus ne ferait pas le poids. Tout semblait favorable à sa nomination lors de la convention nationale démocrate, qui allait se tenir à Chicago au mois d’août. Il espérait y être couronné comme successeur éventuel du président Johnson.
Vers minuit, dans la nuit du 4 au 5 juin, Kennedy s’adressa à ses supporters euphoriques dans la salle de bal de l’Ambassador Hotel de Los Angeles. Il quitta l’estrade après son discours, sans cesser de parler aux journalistes et traversa le garde-manger de l’hôtel pour aller saluer ses supporters qui travaillaient dans les cuisines. Il se trouvait au milieu de la foule dans un couloir menant à la cuisine lorsqu’un Palestinien de 24 ans, Sirhan Sirhan, sortit un revolver calibre 22 et tira à bout portant dans la tête du futur président. Les spectateurs de la scène crièrent immédiatement « on ne veut pas un deuxième Dallas », ils coincèrent Sirhan sur une table et commencèrent à le frapper avant que des agents de la sécurité ne les en empêchent.
Kennedy fut emmené de toute urgence au Good Samaritan Hospital, où il mourut le lendemain. Cinq autres personnes se trouvant dans la cuisine furent blessées, mais toutes s’en remirent. Paul Schrade, le patron du syndicat des travailleurs de l’industrie automobile, fut blessé à la tête, mais survécut miraculeusement. Il apprit que si la balle était entrée un millimètre plus loin, elle l’aurait tué. Sirhan Sirhan fut condamné à une peine d’emprisonnement à vie et est toujours de ce monde. Inévitablement, d’aucuns prétendirent qu’il n’avait pas agi seul et qu’il avait été l’instrument de criminels organisés. Certains allèrent même jusqu’à prétendre qu’il avait été victime d’un complot monté par des agents rebelles de la CIA. Au jour d’aujourd’hui, aucune de ces théories ne s’est révélée convaincante.
Le corps de Kennedy fut exposé solennellement dans la cathédrale Saint-Patrick de New York, avant les funérailles. Après la cérémonie, il fut transporté par train spécial jusque Washington. Des milliers de gens vinrent le pleurer le long de la voie ferrée et dans les gares et présentaient leurs respects au convoi qui passait. Ensuite, il fut enterré à côté de son frère, John, dans le cimetière national de Arlington. Comme il l’avait souhaité, il fut enterré de nuit, et avec le moins d’escorte et de cérémonie militaire possible.
Kennedy ne mourut pas seul cette nuit-là. Pour des milliers d’Américains, l’espoir d’un futur meilleur, plus brillant et plus pacifique s’éteignait avec lui. D’aucuns continuent à méditer sur ce qui aurait pu se passer si « le meilleur candidat que nous ayons jamais eu » avait pu poursuivre son chemin vers la Maison Blanche.
« Consacrons-nous à… apprivoiser la sauvagerie de l’homme et à rendre la vie sur terre plus agréable. » Extrait tiré de l’éloge funèbre impromptu que Kennedy rendit à Martin Luther Kingle le soir de son assassinat (le 4 avril 1968) à Indianapolis.
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