Pendant de nombreuses années, les archéologues ont considéré que l’art dit « des cavernes » ne représentait que des animaux et des signes. La figure humaine semblait curieusement absente, si ce n’est à quelques rares exceptions. L’art pariétal trouvait, pour beaucoup de préhistoriens, son explication dans la magie susceptible d’offrir aux humains des chasses abondantes. Les fouilleurs s’intéressaient aussi aux objets façonnés, lithiques ou d’origine animale. Parmi ceux-ci figuraient quelques célèbres « Vénus » stéatopyges (aux grosses fesses) interprétées, elles aussi, comme des images incantatoires censées provoquer la fertilité.
L’art de Cro-Magnon n’était donc lié qu’à la fécondité et à la reproduction. (*Cro-Magnon est le nom populaire pour désigner les« homo sapiens » du paléolithique supérieur qui vécurent de - 43.000 à -12.000 avant notre ère. Le premier spécimen, donc éponyme, fut découvert en Dordogne aux Eyzies-de-Tayac en 1868).
En 2010, une exposition initiée par la Fondation d’ Atapuerca (un site archéologique espagnol d’une richesse inouïe, situé dans la province de Burgos) en synergie avec la municipalité de Santillana del Mar venait jeter un fameux pavé dans la mare. Son titre était pour le moins « choc » : « Sexo en piedra » (il y eut une seconde édition de l’exposition en 2014).
Javier Angulo, un urologue, et Marcos Garcia-Diaz, un préhistorien, tous deux fort intéressés par le sujet avaient été chargés par les organisateurs de rechercher, dans les musées et collections, des représentations de scènes érotiques que l’homo sapiens paléolithique avait laissé dans divers gisements de l’Europe entière. Le résultat fut étonnant : nos ancêtres étaient fort portés sur la bagatelle et l’exposition présentait même des olibos (godemichés) de pierre ou façonné dans des os d’animaux. Si d’aucuns préfèrent voir dans ces objets phalliques (encore et toujours !), des symboles de fertilité, force est de reconnaître que ces « pièces » ont une dimension très « acceptable » et sont particulièrement lisses.
Donc, le matériel pour monter l’exposition « Sexo en piedra » ne manquait pas, mais un voile prude avait été jeté sur le sens réel des dessins et artefacts paléolithiques, connus parfois depuis des décennies. Car les étudier dans leur réalité crue aurait choqué jusque dans les années 1960. Et ceux qui se seraient risqués à faire preuve de réalisme se seraient très vraisemblablement vus traiter de pornographes. Cette exposition et d’autres qui suivront révélèrent au grand public un nouvel aspect de la vision de « Cro-Magnon », loin de celle des livres scolaires ou de la caricature montrant une brute épaisse tirant, derrière lui, par les cheveux son « élue » dûment assommée à l’aide d’un gros gourdin.
Moins prudes que leurs prédécesseurs, quelques préhistoriens à l’esprit ouvert, accompagnés de chercheurs formés aussi à d’autres sciences comme la médecine, s’étaient déjà penchés sur ces plaquettes sculptées (certes grossièrement en apparence) découvertes en nombres dans certains abris et grottes.
Gilles Delluc est à la fois médecin et docteur en géologie du Quaternaire. Son épouse Brigitte (également spécialiste de la question), et lui, ont plus particulièrement étudié les sites de Dordogne. Ils affirment, après avoir mené de longues et sérieuses analyses : "les parois des grottes paléolithiques affichent très fréquemment des images sexuelles féminines, notamment des vulves. Jamais plus cette partie du corps féminin ne sera représentée aussi souvent et avec un tel soin. Les fesses apparaissent aussi comme une zone érogène privilégiée. Plus que des célébrations de la maternité, ces images expriment vraisemblablement une sorte de fascination pour le plaisir sexuel".
D’autres préhistoriens avaient déjà décelé des scènes de coït dans des positions très imaginatives, des représentations de masturbations et de fellations, voire de zoophilie et de voyeurisme. À cet égard, en France, la grotte de la Marche pouvait être considérée comme un vrai Kâma-Sûtra du paléolithique, mais la pudibonderie de savants conservateurs taisait ce fait au grand public jusqu’à la publication des travaux minutieux de Léon Pales (ancien médecin militaire et préhistorien) et Marie Tassin de Saint Péreuse dans les années 1970-80.
Mais il y a encore plus hors du commun !
Entre 1968 et 1976, Gerhard Bosinski avait effectué des fouilles à Neuwied (en Allemagne) sur le site dit de Grönnersdorf. Sur l’une des pièces trouvées, on distinguait clairement (malgré une certaine stylisation) deux femmes nues enlacées frottant leurs gros seins l’une contre l’autre. Le lesbianisme n’était donc pas étranger à nos lointaines aïeules. En fait, l’étude de la pratique de l’homosexualité féminine au paléolithique n’a pas fini d’étonner, car, à bien y regarder, la trouvaille de Gönnersdorf n’était pas vraiment une exception.
Le site de La Magdeleine-La Plaine sur la rive droite de l’Aveyron avait déjà fourni un abondant matériel préhistorique connu et étudié. Mais en 1977 H. Bessac voulut en savoir plus sur l’attribution culturelle et la nature du gisement. Ses sondages furent très révélateurs. Dès 1994, il mit à jour des plaquettes ornées à foison. Le nettoyage soigneux (à l’aiguille) d’une grande plaquette en calcaire beige fit apparaître l’élément principal du décor : un groupe de quatre femmes, emboitées deux à deux et disposées face à face, un couple svelte et un couple de silhouettes massives. Sans trop « s’emballer », on pourrait y voir une scène saphique d’initiation.
Même si la prudence reste de mise désormais les spécialistes lèvent le voile : le saphisme n’était pas né à Lesbos !
Auteur : Louise-Marie Libert, médiéviste, auteur des "Plus terribles affaires de sorcellerie", de "Ces morts... toujours vivants ?", des "Plus mauvaises mères de l'Histoire" et des "Plus piquantes anecdotes de nos princesses", aux Editions Jourdan.