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Syphilis m’était contée : histoire d’un fléau

De toutes les infections sexuellement transmissibles, la syphilis est sans doute une de celles qui a le plus frappé l’imagination. Jugez plutôt. Voilà un fléau qui apparaît subitement à la fin du XVe siècle et qui, en quelques décennies, touche l’Europe entière. Chancres mal-placés, éruptions cutanées, graves atteintes osseuses, nerveuses et cardiovasculaires, les symptômes de la maladie frappent d’autant plus les populations que la syphilis apparaît comme particulièrement virulente à ses débuts. Si tous n’en meurent pas, beaucoup en sont affectés. Deux siècles après, la vérole est tellement fréquente qu’elle prend même place dans les conversations mondaines : «Monsieur le Duc a donné la vérole à Madame de Pris, Madame de Pris l’a donnée à Monsieur de Livry, Monsieur de Livry l’a donnée à sa femme, sa femme l’a donnée à La Peyronie[1] et La Peyronie les guérira tous», note ainsi une certaine Madame de Brossay au XVIIIe siècle.

Le péril vénérien

Au XIXe siècle, la lutte contre la syphilis prend des airs de croisade. Les considérations morales prennent le dessus. Suspectée d’entraîner une « dégénérescence de la race » et associée à la débauche, la syphilis devient un problème d’envergure nationale. C’est la naissance du « péril vénérien », qui rejoint les grands fléaux sociaux du moment que sont la tuberculose et l’alcoolisme. On terrorise les populations à coups d’images dramatiques, pas toujours infondées d’ailleurs. À l’époque, la vérole passe pour être aussi fréquente que le rhume ! Les dossiers de certaines compagnies d’assurances semblent le confirmer : au début du XXe siècle, ils révèlent qu’au moins 14 à 15 % des décès peuvent être attribués à cette maladie.

On purge pépé !

Déconcertés par les ravages du fléau, les médecins improvisent avec les connaissances de l’époque. Superstitions et charlatans s’en mêlent aussi. On préconise la diète, la saignée, les cures thermales, la prière ou encore les purges. Venu d’Amérique du Sud, le bois de gaïac passe pour souverain contre le mal. François Ier en fait venir un bateau entier du Brésil ! Mais le traitement, en plus d’être peu utile, est exténuant. Strictement confinés dans une chambre ou une tente surchauffée, les malades sont tenus d’absorber huit à dix tasses de décoction plusieurs fois par jour. Saignées et purgations répétées préparent par ailleurs le traitement, qu’il faut prolonger pendant deux à trois mois. Très vite aussi, le mercure fait figure de remède miracle, mais se révèle tellement toxique et peu efficace qu’il tue presque autant que la maladie elle-même. Il continuera pourtant à faire figure de traitement de référence jusqu’au début du XXe siècle.

La paille et le foutre

Mais où est réellement née la terrible vérole ? C’est simple : un peu partout, mais surtout chez les autres. C’est ainsi que les Français l’attribuent aux Italiens, les Anglais aux Français, les Écossais aux Anglais, les Portugais aux Espagnols, les Polonais aux Allemands et les Russes aux Polonais ! Ouf. Plus sérieusement, l’origine de la syphilis fait encore l’objet de vives controverses. La théorie qui veut que Christophe Colomb ait ramené ce fléau d’Amérique est remise en cause par la découverte de lésions identiques à celles de syphilis antérieures à 1493. Reste qu’une épidémie a bel et bien frappé l’Europe à partir du XVe siècle. S’agissait-il de la syphilis actuelle ? On n’en est même plus sûr aujourd’hui. La vérole pourrait aussi avoir déferlé sur l’Europe, non depuis les Amériques, mais depuis la péninsule ibérique, rapportée par les marins portugais fréquentant les côtes d’Afrique. Plus de quatre siècles après son apparition, la syphilis reste donc toujours un mystère. Elle est loin d’avoir complètement disparu, que du contraire. Les médecins alertent même sur une résurgence de la maladie.

Punition divine, le retour

La syphilis n’est pas sans entretenir des similitudes avec le sida. Comme pour ce dernier, on va fustiger les débordements des mœurs et voir dans la vérole une punition divine. Comme pour le sida, une partie de la population, ici les prostituées, sera accusée de propager l’épidémie. Comme pour le sida, le port du condom sera recommandé comme seul moyen de prévention et, comme avec le VIH, cette mesure prophylactique sera condamnée par Rome dès 1826 !


[1]. François de La Peyronie (1678 - 1747). Ce chirurgien du roi Louis XV a donné son nom à la maladie de La Peyronie, une sclérose des corps caverneux, responsable d’une déviation de la verge en érection. La Peyronie estimait qu’elle pouvait être liée à une affection vénérienne, gonococcique ou syphilitique.

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