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Les Templiers, ou la brûlante « reconnaissance » de Philippe le Bel

Une rafle bien préparée

 

Le 14 septembre 1307, le roi Philippe le Bel dépêcha en grand  secret des émissaires auprès de tous les sénéchaux et baillis de  France pour leur intimer l’ordre d’être prêts à procéder à la  saisie de tous les biens mobiliers et immobiliers de l’Ordre du  Temple. Philippe le Bel avait conçu son plan avec machiavélisme.  Même les officiers supérieurs chargés de ladite mission  en ignoraient la teneur exacte. Mobilisés avec leurs subalternes,  ils avaient reçu un pli scellé à n’ouvrir que le matin même de  l’action à mener. Cette procédure évitait totalement un risque  de « fuite » d’informations. Le vendredi 13 octobre, en quelques  heures, tous les Templiers de France sont appréhendés et mis  sous les verrous. À Paris, des hommes d’armes sous le commandement  de Guillaume de Nogaret investissent le Temple et  s’emparent de Jacques de Molay, le grand maître de l’Ordre  ainsi que des moines-soldats qui étaient en sa compagnie. Le roi  fait directement main basse sur les trésors et aussi les archives  des Templiers qui se trouvent dans la Tour. 

 

 

Tout a commencé à Acre

 

Le 16 juin 1291, Saint-Jean d’Acre tombe aux mains des infidèles.  Le Grand Maître du Temple Guillaume de Beaujeu et un  grand nombre de Templiers périssent lors du siège de la ville  forte. Après ce désastre, l’Ordre du Temple se replie dans un  premier temps sur Chypre puis se redéploie dans les diverses  commanderies en Europe et surtout en France, où leurs  domaines (des bases arrière) sont les plus nombreux. 

Le but de l’Ordre militaire étant de défendre les pèlerins chrétiens  sur la route de Jérusalem, la fin des royaumes francs  d’Orient les prive de cette mission fondatrice. Cet échec de la  Chrétienté face à l’Islam est mal vécu par l’opinion publique  européenne. On ne se prive pas de critiques au sujet de ceux  qui n’ont pas été à la hauteur (les Templiers figurent au premier  rang) et l’opinion publique exprime tout haut le ressentiment  éprouvé envers un ordre cultivant volontiers le secret. Le peuple  disait couramment « jurer ou boire comme un Templier », on  qualifiait les chevaliers de « pêcheurs d’écus » et en Allemagne,  les maisons closes étaient ironiquement qualifiées de Tempelhaus.  En 1294, le pape Nicolas IV réunit un concile à Salzbourg  afin de fusionner les Templiers, les Hospitaliers et les Teutoniques.  Jacques de Molay, Grand Maître de l’Ordre du Temple,  s’oppose vigoureusement à toute soumission des Templiers. 

 

 

Philippe le Bel le faux monnayeur

 

Si la rapidité avec laquelle les Templiers ont été interpellés  partout en France, si le secret du « complot royal » fut si bien  gardé, c’est que Philippe le Bel préparait sa forfaiture avec grand  soin depuis longtemps. Le roi de France sut « surfer » sur cette  vague de mécontentement des Français à l’égard des Templiers  alors que lui-même faisait l’objet de vives rancœurs de la part  du peuple tout entier. 

Pour éponger la dette royale, Philippe le Bel avait fait « rogner » la  quantité de métal fin dans les pièces et aussi émis plus de pièces  (la politique de la « planche à billets »). Ces agissements royaux,  qui auraient derechef conduit tout citoyen au bûcher pour faux  monnayage, mécontentèrent les petits seigneurs dont les rentes  en nature étaient depuis longtemps converties en taxes fixes en  argent. De même, les travailleurs voyaient leurs salaires se réduire  comme une peau de chagrin. En 1306, nonobstant les manipulations  des monnaies, les finances royales allaient toujours au plus  mal. Philippe le Bel décida d’expulser tous les Juifs du royaume  afin de s’emparer de tous leurs biens, jusqu’au moindre bijou. 

 

 

Et pour calmer les grondements du peuple irrité par la dévaluation,  il revint à une « bonne monnaie » qui entraîne par une  spirale financière imprévue la hausse des loyers et des fermages,  créant une nouvelle rage unanime contre le roi. Paris se soulève.  Fuyant le peuple en révolte, Philippe le Bel trouve refuge avec  ses proches dans la solide Tour du Temple de Paris. « Et la foule  retenait le roi, ses frères, ses barons, ses biens assiégés dans le Temple  qu’aucun d’eux ou de leurs proches n’osaient entrer ou sortir », écrit  Jean de Saint-Victor dans sa chronique Memoriale Historarium. 

 

La rouerie de l’ingrat roi de France

 

Philippe le Bel se retrouva doublement débiteur des Templiers,  au nombre de ses banquiers et de ses sauveurs. Il leur doit  l’argent de ses emprunts et il leur est redevable de l’avoir sauvé  d’une dangereuse jacquerie. Philippe le Bel est de ceux qui  n’aiment pas plus avoir une dette morale qu’ils n’ont aucun  scrupule à ne pas s’acquitter auprès d’un créancier. Ce roi a un  perpétuel besoin de fonds ; les Templiers sont riches. Philippe  le Bel est un centralisateur et un amant du pouvoir absolu ; les  Templiers sont très puissants avec leurs réseaux économiques  de commanderies, une vraie multinationale à l’échelle de l’Europe.  Or, le « siège central » se trouve en France. Philippe le  Bel ressent l’existence du Temple comme un état dans l’État.  L’Ordre dispose en royaume de France d’une armée forte de  15 000 hommes, des soldats bien entraînés et organisés, une  vraie milice privée au sein du pays avec des ramifications dans  d’autres royaumes. Pour Philippe le Bel, les Templiers sont à  abattre tant par avidité que par méfiance. Encore faut-il trouver  une raison pour s’en prendre à eux. Guillaume de Nogaret,  son conseiller autant que son âme damnée, va lui fournir les  moyens de ses noirs desseins : les Templiers s’adonnent au culte  de Satan. Il faut poursuivre ces « sorciers » et les éliminer pour  le bien de tous ! 

 

 

 

De terribles accusations

 

Un ancien Templier du nom d’Esquieu de Floyran prétend  avoir des révélations à faire au sujet des moeurs des Templiers.  Son récit est effarant. Mais le plus surprenant dans cette affaire  est que les aveux des Templiers corroborent les dires de leur  délateur. Parmi des dizaines d’horreurs dont ils sont convaincus,  ils avouent des actes jugés comme abominations pour un  monde médiéval baigné par la Chrétienté. Ainsi, dès leur entrée  dans l’Ordre, les Templiers renient le Christ et sa divinité.  Ils crachent rituellement sur le crucifix quand ils ne le piétinent  pas ou n’urinent pas dessus, de préférence le Vendredi saint.  Parfois, au cours de ces « cérémonies » sacrilèges, un étrange  chat faisait son apparition. Lors de leur réception dans l’Ordre,  les nouveaux frères étaient soumis à des baisers et des attouchements  très impudiques.

 

 

Idolâtrie et sorcellerie

 

Dans chaque province de l’Ordre, il y avait une idole à trois  têtes (Baphomet) que l’on vénérait à l’égal de Dieu. Par sorcellerie,  leur idole apportait aux Templiers richesses, prospérité  et pouvoir. Avarice, prévarication n’étaient pas pour eux des  péchés. D’ailleurs, ils ne se confessaient qu’entre eux, tout  comme ils assouvissaient en toute impunité leurs désirs charnels.  Sur leur sceau, ils figurent à deux, bien serrés l’un derrière  l’autre ! Cependant, cette représentation entendait signifier leur  idéal de pauvreté individuelle, ils n’avaient qu’un cheval pour  deux. Leurs accusateurs virent au contraire dans cette image  l’évocation d’une complicité homosexuelle.

Des centaines de livres ont été écrits sur les Templiers, les uns  remplis de fantasmes, d’autres, plus sérieux, tentant de trouver  une origine à pareilles accusations. Contrairement aux Croisés  qui étaient des « mercenaires » effectuant des missions temporaires  en Terre sainte, les Templiers formaient une armée permanente.  Ils étaient bien plus au courant que les barons croisés de  l’Orient des coutumes et de la religion de l’ennemi musulman.  Il est certain qu’en période de trêve, les moines soldats avaient  des contacts avec les musulmans (Baphomet ressemble à  Mahomet !) et qu’il devait leur arriver de préconiser la négociation  en lieu et place d’un affrontement meurtrier sur le champ  de bataille. Autant d’éléments qui, intentionnellement mal  interprétés, pouvaient conduire à leur condamnation pour qui  souhaitait leur perte, comme Philippe le Bel.

 

 

Étranges faiblesses

 

Après leur arrestation, les Templiers sont incarcérés dans diverses  forteresses en attente de leur procès. En principe, les Templiers  n’ont de comptes à rendre qu’au pape et leur jugement n’est pas  du ressort des tribunaux civils. Mais Philippe le Bel a prévu la  parade. Il charge son fidèle confesseur Guillaume Humbert, dit  de Paris, par ailleurs Inquisiteur général de France, de mettre  les Templiers en accusation et de les soumettre à la question.  Fait étonnant pour des moines soldats aguerris au combat, la  plupart des Templiers cèdent rapidement sous la torture et  avouent maintes turpitudes (idolâtrie, satanisme, blasphèmes,  sodomie, etc.), scellant ainsi le sort de leur ordre. Mais beaucoup  de Templiers étaient des hommes simples et rudes, voire  des incultes qui ne devaient guère comprendre les questions et  le jargon de ceux qui les interrogeaient. On pourrait dire selon  des termes modernes qu’ils se « sont fait piéger ».

 

 

Un pape sous influence

 

Beaucoup de chevaliers accusés par les inquisiteurs d’être des  idolâtres, des sodomites, des blasphémateurs et coupables de  maints autres péchés gravissimes se récusèrent assez rapidement.  Considérés comme relaps, ils finirent derechef sur le  bûcher. Les autres furent condamnés à rester dans des culs de  basse-fosse sordides dans l’attente d’une sentence finale.

Le pape Clément V tenta de protester. Mais Philippe le Bel  voulait en finir avec l’Ordre et surtout ses hauts dignitaires. Le  souverain pontife, un homme au caractère timoré et faible, céda  de guerre lasse sous la pression du roi de France et concéda  la bulle Vox in excelsio qui ordonnait l’abolition de l’ordre des Templiers. Ensuite, par la bulle Ad providam (1312), il décrétait que les biens des Templiers deviendraient en grande partie la propriété des Hospitaliers, rivaux de toujours des Templiers et encore plus fortunés qu’eux.

 

 

La curée

 

Avec la bulle Considerandes dudum (1312), le pape acceptait ensuite que les Templiers reconnus coupables des forfaits dont ils étaient accusés soient mis à mort et que les chevaliers innocentés soient dispersés et aillent vivre dans le siècle ou un monastère.

Le 22 décembre 1313, la commission chargée de statuer sur le sort des hauts dignitaires, retenus depuis des années en détention, obtient des aveux réitérés de leur part. Le 18 mars 1314, sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Jacques de Molay, Grand Maître et trois autres dignitaires (Geoffroy de Charnay, Hugues de Pairaud et Geoffroy Goneveille) furent solennellement avisés de leur condamnation à la réclusion à perpétuité. Cependant, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay, revenant sur leurs aveux, clamèrent leur innocence et prétendirent que toute l’affaire était un tissu de mensonges et de fourberies, un complot monté de toutes pièces. Le lendemain, les deux relaps furent brûlés vifs. C’en était fini des Templiers, du moins en France. Philippe le Bel avait atteint son but et accru les biens de la couronne. 

 

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