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Turlupins et Adamites : la persécution des nudistes au Moyen Âge…

Sous le règne du roi Charles V le Sage, dans les années 1370, les routes du Sud de la France virent apparaître des troupeaux d'hommes nus et de femmes nues. Ils venaient de la Savoie et d'endroits misérables des montagnes italiennes. Pourquoi vinrent-ils à Paris ? Nul ne le sait. Ils se disaient « La Fraternité des Pauvres », on les appelait Fraticelles ou encore Frérotes. Mais ce n'est pas sous ces noms qu'ils s'imposèrent. On les affubla d'un sobriquet vif, caricatural, unique en son genre : les Turlupins. Selon la plus commune explication, on les aurait ainsi appelés parce qu'ils habitaient seulement les lieux exposés aux loups. Pourtant, nous allons les voir se répandre dans les villes. Ils diffusèrent des sortes de tracts. Ils professaient que l'âme, lorsqu'elle est absorbée dans l'amour de Dieu, n'est plus soumise à aucune loi et qu'elle peut, sans se rendre coupable d'un crime, satisfaire tous les appétits naturels.

 

 

 

La pudeur doit donc être considérée comme une marque de corruption intérieure, comme la preuve de l'assujettissement à la domination de la sensualité. La liberté de mœurs et le libertinage affichés des Turlupins leur attirèrent un grand nombre de partisans. On dit que, réunis en troupes, ils parcouraient les campagnes, se livrant à tous les excès, séduisant filles et garçons et terrorisant les familles.

 

 

Les Turlupins ordonnaient donc le retour à l'état d'avant la chute, à la nudité primitive et pure du Paradis terrestre. Nos Turlupins et Turlupines se répandaient par les rues, les marchés, les carrefours et se jetaient eux sur les marchandes et elles sur les marchands. On dit qu'ils s'unissaient comme des bêtes, à la manière des chiens et ce culte se déroulait à la clarté du jour. On prétend aussi qu'ils envahissaient parfois les églises, car pour eux, le culte divin devait se célébrer dans le grand temple naturel sans oraison et la prière seulement faite avec la pensée. Les plus déchaînées étaient les femmes. La secte suivait d'ailleurs non pas un grand prêtre, mais une grande prêtresse, qui s'appelait Jeanne Daubenton qui périra dans les flammes. Or, on est en droit de penser qu’une prêtresse à la tête de ses fidèles qui se présente dans le costume du premier homme ou de la première femme a peu de chance de se faire écouter. Et pourtant… Les adeptes affluaient et les enfants des Turlupins, garçons et filles formaient assurément une belle séquelle.

 

 

Ces scandales de la foi et des mœurs ne pouvaient durer. De 1311 à 1318, les papes d'Avignon Clément V et Jean XXII avaient fulminé contre certaines sectes similaires. Le pape Grégoire XI excommunia les Turlupins et exhorta le roi de France à appuyer les dominicains dans leur lutte contre la secte. Le roi Charles V, obéissant, ordonna donc de poursuivre en son domaine propre les Turlupins et de les châtier. Tout ce qu'on ramassa de Turlupins et de Turlupines fut jeté dans les geôles épiscopales puisque leur crime relevait avant tout de la justice religieuse. Jeanne Daubenton et Marguerite Porettta furent brûlées vives à Paris en 1313. Les chroniques relatent que beaucoup de Turlupins finirent dans les flammes en compagnie de leurs livres. De quels livres s'agissait-il ? On l'ignore, car on n'a jamais rien retrouvé. Leur supplice aura lieu principalement à Paris, au Marché-aux-Pourceaux, près de la porte Saint-Honoré, sur la butte Saint-Roch.

 

Les derniers Turlupins y furent sacrifiés aux flammes en 1372. On ignore leur nombre, les circonstances de leurs exécutions et le comportement du peuple à leur égard. Le grand Inquisiteur dominicain ordonna de garder le cadavre du compagnon de Jeanne Daubenton, mort dans sa cellule et de le conserver dans la chaux jusqu'à la fin du procès. Il resta ainsi quinze jours, après lesquels, sentence rendue, il fut retiré intact de sa chaux et porté sur le Marché-aux-Pouceaux pour y être brûlé en même temps que ses compagnons. Malheureusement, l'histoire ne nous a pas révélé son nom.

 

Le procès précise aussi qu'ils furent brûlés en même temps que leurs hardes. Il faut croire qu'ils s'habillaient quelquefois… en temps de glace peut-être ? Frère Jacques More, l'Inquisiteur du royaume de France, toucha une somme considérable, le 2 février 1373 « en récompense des peines, missions, dépens qu'il a eus soufferts et soutenus en faisant poursuite contre les Turlupins… »

 

 

Mais la secte ne disparut pas entièrement après le bûcher, car une secte traquée ne disparaît jamais entièrement. Si les enfants de Jeanne Daubenton échappèrent aux flammes, ils durent vivre misérables sous les loques dont ils consentirent prudemment à se vêtir. Le nom de la secte subsista pour désigner la pauvreté la plus infecte. « Enfant de Turlupin » devint une expression courante. Mais, les juges nous ont-ils transmis l'image réelle des Turlupins ?

 

Il est curieux de constater que le grand Gerson, promoteur du concile de Constance, s'inscrivit en faux contre les sévérités formulées contre les Turlupins lors de leur procès. Il estime qu'on les a calomniés et qu'il y avait en eux autre chose que cette apparence de bêtes lâchées et que derrière cette bouffonnerie se cachait autre chose… peut-être la dénonciation des injustices sociales.

 

 

Vers 1520, les Frères du Libre Esprit, chassés de Hollande et d'Allemagne, trouvèrent un terrain plus clément en Bohême. Ils disaient : « Quiconque fait usage d'habits ne possède pas la liberté. » Les uns furent passés au fil de l'épée, les autres allèrent au bûcher en chantant.

 

En 1535, à Amsterdam, on vit apparaître des Adamites, non plus de pauvres gens, mais riches et d'excellente famille, courir nus et nues par les rues de la ville. La prière et la lecture de leurs textes sacrés ne pouvaient se pratiquer que le corps entièrement nu. Leurs cérémonies se terminaient par une copulation générale où l'inceste était de règle. Mais il était strictement interdit d'avoir des relations sexuelles en dehors de l'enceinte du « Paradis » sous peine d'en être chassé comme l'avaient été Adam et Eve. Pourchassés puis massacrés, certains Adamites émigrèrent en Bohême, en Pologne et en Grande-Bretagne.

 

 

Il existait avant la guerre de 1914, une secte de communistes russes, ayant pour nom les Douchoboris ou Doukhobors, « les Lutteurs de l'Esprit ». Cette secte fut fondée vers 1740 par un sous-officier prussien en retraite, qui vivait en Ukraine. Ces Doukhobors commencèrent par être installés par le pouvoir tsariste dans la région de la mer d'Azov, puis ils furent refoulés en Géorgie. Hommes et femmes pratiquaient l'absence totale de vêtements, ne vivaient que de légumes et ne reconnaissaient pas l'autorité du tsar puisqu'ils en possédaient un. Leur tsar était un certain Pierre Veriguine qui avait succédé à une tsarine dont on ignore tout du nom. Il y a peu, on trouvait encore 7500 Doukhobors au Canada où ils avaient émigré depuis la fin du 19e siècle, sous la pression du tsar. Aujourd'hui, Adamistes, Doukhobors et Turlupins sont-ils devenus les nudistes ? Leur exaltation religieuse a-t-elle été remplacée par ce « sport naturiste » ? Présumons que cette pratique n'est plus passible du fil de l'épée ou des flammes du bûcher.

 

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