C’est une histoire savoureuse… L’histoire d’une crème fouettée et sucrée dont on se régale à l’heure du dessert ou du café : la chantilly. On raconte que cette crème aurait été inventée par François Vatel, maître d’hôtel au château de Chantilly.
Vatel et de son fils
Vatel a une petite vingtaine d’années, en 1653, lorsqu’il est engagé dans les cuisines de Nicolas Fouquet. Fouquet vient tout juste d’être nommé ministre des Finances au service de Louis XIV et, pour asseoir sa position, il décide de se faire bâtir un château à Vaux-le-Vicomte. C’est là, dans les cuisines de ce château en construction, que Vatel entame sa vie professionnelle. D’abord petit commis, il gravit rapidement les échelons jusqu’à être nommé maître d’hôtel.
Un jour d’août 1661, Vatel est chargé par Fouquet d’organiser le plus prestigieux des dîners. Le château est enfin terminé, on va l’inaugurer en présence du Roi et de toute sa cour. La fête est effectivement somptueuse, avec feux d’artifice et vaisselle en or massif. Pour les buffets, Vatel a prévu une montagne de cailles, de faisans, d’ortolans… Et en entremets, une crème très particulière : une crème fraîche qu’il fouette pour y introduire de l’air et la rendre incroyablement légère.
Mais personne n’a le temps d’apprécier la crème de Vatel… parce que le Roi s’étrangle. Il s’étrangle de rage et de jalousie devant le faste de cette fête et le luxe de ce château alors que son Versailles n’est, à l’époque, qu’une très modeste demeure.
Quelques jours plus tard, sur ordre de Louis XIV, Fouquet est arrêté et condamné à perpétuité. Vatel, son maître d’hôtel, craint de subir le même sort. Heureusement, il est rapidement engagé par le prince Louis II de Bourbon-Condé, qui le nomme Contrôleur général de la bouche en son château de Chantilly, au nord de Paris.
Louis II de Bourbon-Condé
Il se plante une épée dans le ventre
Le Grand Condé – comme on l’appelle – est un fin gourmet et reçoit beaucoup. À sa table, on croise La Fontaine, Bossuet, Madame de Sévigné… C’est d’ailleurs là, lors d’un séjour à Chantilly, que Molière aurait écrit Les Précieuses ridicules.
Le Grand Condé est aussi un proche de Louis XIV dont il est cousin, mais les relations entre les deux hommes sont très tendues. Alors, pour tenter de regagner les faveurs du Roi, le prince l’invite à passer quelques jours chez lui, au château de Chantilly. Et c’est évidemment Vatel, le maître d’hôtel, qui est chargé de toute l’organisation des festivités.
Nous sommes en avril 1671. Le Roi débarque avec toute sa cour – plusieurs centaines de personnes, et les convives sont tellement nombreux que, le premier soir, le rôti vient à manquer. Vatel est terriblement embarrassé. Il sait d’expérience que le moindre faux pas dans la réception du Roi pourrait valoir de très gros ennuis à son maître. Heureusement, il a prévu pour le lendemain un somptueux banquet de poisson… Pour ce faire, il a envoyé des acheteurs dans plusieurs ports. Mais la mer est bien loin de Chantilly, les routes sont mauvaises et le poisson n’arrive pas. Vatel dit alors à son second : « Je ne survivrai point à cet affront ». Et il se plante une épée dans le ventre. La chose se sait, évidemment. Le soir même, madame de Sévigné écrit à sa fille : « Vatel, le grand Vatel s’est poignardé ». Et elle ajoute en fin de courrier que « c’est une chose fâcheuse lors d’une fête à 50.000 écus ».
L’histoire ne dit pas s’il y avait de la crème fouettée au menu ce soir-là… Cette crème, en réalité, ce n’est pas Vatel qui l’a inventée. On la trouve mentionnée dans des ouvrages antérieurs. Mais c’est bien en hommage au maître d’hôtel de Chantilly que l’on déguste aujourd’hui de la crème chantilly.