13 juin 1805, Haïti. Le convoi mortuaire s’avance lentement vers le cimetière de la ville, dans une procession solennelle que rien ne semble pouvoir perturber. Le cercueil est encadré par huit brigadiers de la garde de l’empereur et, entièrement vêtue de noir, Marie-Claire Heureuse Félicité, l’impératrice elle-même, conduit le cortège. Une véritable cérémonie officielle, la première de ce nouvel empire, dirigé par le célèbre esclave Jean-Jacques Dessalines.
Jean-Jacques Dessalines
Qui est donc ce personnage à ce point honorable que l’on inhume avec tant d’apparats ? Jacques 1er enterre Victoria Montou, dite La Toya, dont la réputation de guerrière n’est plus à faire à travers tout le pays et qui n’est autre que sa tante. Bien des années avant ce mois de juin funeste, la vie de Victoria et de Jean-Jacques se résume au travail sous un soleil de plomb dans les plants de café, tous deux esclaves du colon Henri Duclos, maître violent, usant du fouet à l’envi. Victoria est énergique et se montre d’une intelligence et d’un esprit stratège peu communs. Son corps musclé est entrainé au corps à corps et elle n’a pas son pareil dans le lancer du couteau.
C’est en tant que tutrice du jeune Jean-Jacques, son unique parent encore vivant et son ami, qu’elle l’initie au combat et le confronte au sort des siens, à la liberté du peuple noir. Elle lui enseigne également l’histoire de leurs ancêtres, la culture caribéenne.
Elle insuffle en lui des idées révolutionnaires, dans un contexte déjà bouleversé par le soulèvement de certaines colonies esclavagistes dans les petites Antilles qui va mener à l’abolition de l’esclavage. Duclos, pressentant que cette éducation et cette relation entre le neveu et sa tante pourraient mettre à mal sa propre sécurité, décide de vendre le jeune esclave et de transférer Toya dans une autre plantation. Jean-Jacques est acheté par un noir affranchi, lui-même ayant appartenu à un ingénieur français du nom de Des Salines. Il est tout à fait courant que l’esclave prenne le nom de son propriétaire ; Jean-Jacques devient à son tour un Dessalines. Bien que peu docile, il apprend le métier de son nouveau propriétaire qui le considère avec beaucoup d’égard. Ce nouvel environnement et cette reconnaissance participeront certainement aux événements à venir.
De son côté, Toya se retrouve à la tête d’un groupe de révolutionnaires, tout en dirigeant les travaux de la colonie, un travail harassant de déboisement, de labourage et de récolte des céréales. Du matin au soir, s’activant sans s’arrêter une seconde, elle se révèle un leader puissant et réfléchi derrière des airs de travailleuse tranquille. Sa faux en main, un couteau à indigotier à la ceinture de son caraco, Victoria impressionne ceux qui l’entourent et ses discours engagés semblent la rendre indomptable malgré la vie qui lui est imposée. Parallèlement, Jean-Jacques prend part aux troubles révolutionnaires qui vont mener à l’indépendance d’Haïti : il combat en tant que lieutenant, aux côtés du général de Saint-Domingue, Toussaint, pour finir par prendre le commandement des troupes et par coordonner les batailles. En 1803, il est proclamé « général de l’Armée des Indigènes » et ses bataillons prendront le nom d’« Armée des Incas ». L’indépendance d’Haïti est officialisée le 1er janvier 1804 et, dans la foulée, Jean-Jacques devient Jacques 1er, empereur d’un petit État.
Dans ce même temps, Victoria participe elle aussi aux affrontements, maniant le couteau à la perfection alors qu’elle affiche la soixantaine passée. Lors d’une insurrection particulièrement agitée, ayant toujours sous ses ordres un groupe d’esclaves en révolte, un régiment les surprend et parvient à capturer la majorité d’entre eux. Toya, dans l’attaque, s’enfuit pour éviter l’emprisonnement mais est poursuivie par deux soldats, lancés dans une véritable chasse à l’homme. La lutte est violente, Toya faisant preuve d’une hargne impressionnante, blessant grièvement l’un de ses deux assaillants. Le combat au corps à corps démontre toute la dextérité de celle qui s’est entrainée toute sa vie, au milieu des champs de café. Le soldat face à elle est très vite rejoint par le reste du régiment qui capture aisément Toya. L’interrogatoire, menaçant, l’oblige à dévoiler le nom de celui qu’elle suit dans la lutte pour la liberté sans toutefois révéler son lien de parenté qui serait une monnaie d’échange très pratique pour l’ennemi.
Nous ne possédons pas d’informations concernant les événements qui suivirent, seules quelques explications du médecin de famille de Dessalines, Baptiste Mirambeau, relatent brièvement l’épisode du 12 juin 1805, alors que Jean-Jacques accourt au chevet de sa tante déjà à l’agonie, quelque temps après la mise en place de l’empire. Il aurait ordonné au médecin :
« Cette femme est ma tante, soignez-la comme vous m’auriez soigné moi-même. Elle a eu à subir comme moi toutes les peines, toutes les émotions durant le temps que nous étions condamnés côte à côte aux travaux dans les champs »
Malheureusement, Toya ne survit pas au traitement royal. Dessalines lui offre des funérailles nationales, à l’image de son combat. Le chemin parcouru depuis les champs de café semble presque sortir de l’imagination d’un patriarche mais est bien celui d’une très grande guerrière qui est parvenue à ses fins : libérer son peuple.