Vie de prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale
Evasion spectaculaire
En France, durant l’été 40, pour leurrer les prisonniers sur la destination des wagons dans lesquels ils les avaient embarqués, les Allemands laissaient bien souvent les portes ouvertes et exhibaient les drapeaux français et allemands, fixés au bout du train. Beaucoup se laissèrent duper, riant et hurlant le chant des libérés. Mais l’un d’eux, moins naïf, bouscula la sentinelle de son wagon et, au passage du pont de Darnetal – près de Rouen – plongea dans la Seine à une hauteur de vingt mètres, tout en échappant aux balles tirées du convoi. Quand il sortit de l’eau, d’autres Allemands le cueillirent, le menèrent à la Kommandantur, mais il fut libéré en raison de son exploit courageux.
Tout blanc ou tout noir
À la même époque, des prisonniers français étaient parfois envoyés vers l’Allemagne par voie fluviale. Nombre d’entre eux, affaiblis par la dysenterie et amenés à se soulager par-dessus la rambarde, tombaient dans le fleuve où personne ne se souciait de les repêcher. Certains contingents partaient des Pays-Bas, à bord de deux péniches. Les deux embarcations accostaient simultanément dans le port de destination. Leurs voyageurs arrivaient blancs ou noirs, selon qu’ils avaient voyagé sur celle qui avait contenu de la chaux ou celle qui était remplie de charbon. Les Allemands, gonflés par leur supériorité en cet été 40, les accueillaient avec des quolibets.
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Nouvelles standardisées
En juillet 40, lors de leur premier séjour dans les stalags, les prisonniers purent envoyer des nouvelles à leur famille grâce à un bulletin imprimé sur lequel ils n’avaient qu’à biffer deux des trois mentions inutiles: «En bonne santé. Légèrement ou gravement malade. Blessé.» Ils pouvaient juste ajouter «affectueuses pensées», leur numéro de matricule et la désignation du camp. Le bulletin comportait trois volets, les deux autres étant destinés aux services allemands et au centre national des prisonniers de guerre.
Astuce
Le 16 novembre 1940, Hitler annonça la libération des prisonniers français pères d’au moins quatre enfants, ainsi que des aînés d’au moins quatre orphelins de père. Des séquestrés qui n’étaient pas concernés par cette mesure fabriquèrent de faux tampons, les gravant parfois dans des pommes de terre, pour essayer de profiter de l’aubaine.
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Entêtement corsé
Les Italiens firent tout pour amener les prisonniers corses à réclamer le rattachement de l’île à l’Italie. Dans les camps, des officiers de la péninsule les incitaient à prendre la nationalité italienne, les tentant avec des colis de vivres. Ils leur mettaient en main une feuille de libération qu’il suffisait de signer, mais les Corses la déchiraient et entonnaient la Marseillaise. Finalement, les Italiens plièrent bagage et, peu après, les camps corses furent dissous.
Troc risqué
De nombreux prisonniers français de droit commun étaient détenus au camp XA de Schleswig. Un vaste marché de troc s’était organisé dans les espaces libres, au pied même des miradors. Lors de ces rassemblements, les Allemands prenaient un malin plaisir à lâcher leurs molosses, dans la panique générale. Les prisonniers se précipitaient dans les baraques, et tant pis pour ceux qui tombaient en trébuchant. Plusieurs moururent ainsi, déchiquetés, sinon grièvement blessés.
Obsédante distribution équitable
Chaque chef de baraquement ayant la lourde responsabilité de répartir équitablement la maigre nourriture entre les prisonniers faméliques, il coupait lui-même les portions de pain. Pour éviter toute contestation, il les pesait sur une balance romaine de fortune ou les faisait tirer au sort. Quant à la soupe, il fallait encore que son épaisseur fût la même pour tous. Aussi, pendant tout le temps de la distribution par le chef, quelqu’un mélangeait vigoureusement le brouet avec un bâton.
Accueil effrayant
La forteresse dite « de la mort lente » était l’une des nombreuses prisons de la ville polonaise de Graudenz où, depuis 1941, les nazis incarcéraient des prisonniers de guerre français condamnés à mort. Dès leur arrivée, les Allemands les fouillaient méticuleusement et leur confisquaient tout, nourriture, cigarettes, rasoirs ou un simple crayon. Les paroles d’accueil du commandant Roze étaient des moins rassurantes : « Vous êtes de la viande morte pour vos familles !»
Séchoir de fortune
Le manque ou l’absence de chauffage causait bien des soucis aux jeunes mamans, comme en témoigne Sacha Bojovic, une jeune doctoresse d’origine yougoslave, qui s’était engagée dans la guerre par amour pour son époux, médecin également :
«Nous nous sommes retirés pour être tranquilles. Je portais une veste en fourrure. Il a introduit la main sous ma veste pour me caresser et il a senti que j’étais moite. Or, il ne pleuvait pas, il était très surpris. J’ai dû lui expliquer que je faisais sécher les couches de mon enfant à même ma peau, car ailleurs ça ne séchait pas assez vite. Il en a eu les larmes aux yeux, il a ôté ses lunettes embuées et il m’a embrassée tendrement. »
Génie d’adaptation
L’héroïque résistante Marijo Chombart de Lauwe témoigne comment de nombreuses prisonnières politiques françaises, souvent de bonne famille, s’étaient accoutumées à leur nouvelle vie en cellule, dès 1941 :
« Après la prison de la Santé, nous avons été emmenées à Fresnes, une prison du même ordre, mais c’était moins dramatique. Pour tenir le coup, je m’occupais. Il le fallait. Les femmes dans cette prison avaient une remarquable faculté d’adaptation. Par exemple, un jour, une détenue m’appelle par le trou des cabinets et me dit: Tu vas voir ce que j’ai fait. Il y avait une bouche de chaleur dans les cellules, qui ne servait à rien puisqu’on n’était pas chauffé. Ça nous servait à nous envoyer des choses. Donc, j’attends ce qu’elle devait m’envoyer et je vois apparaître un petit rouleau. Je le déroule. Elle avait tricoté une robe en dentelle avec les fils du torchon qui nous servait de serviette ! Ca vous donne une idée de la capacité d’adaptation des femmes en prison. D’ailleurs, nos gardiens disaient volontiers de nous : On enferme une Française toute nue dans une cellule. On est sûr que le lendemain elle aura trouvé le moyen d’avoir au moins un slip et un soutien-gorge. » Mais bien sûr ces bouts de tissu n’auraient pu suffire à protéger des températures hivernales. Agnès Imbert donne froid dans le dos :
« Il fait dans ma cellule un froid glacial, implacable. L’eau suinte des murs et y gèle. Il y a un nombre impressionnant de limaces. C’est une distraction que d’organiser des concours de limaces et de parier contre soi-même laquelle arrivera la première à telle ou telle tâche, à telle inscription ou à tel trou dans le mur. Quant à mon lit, il n’est pas humide. Il est positivement mouillé. Malgré des socquettes de laine, mes orteils ont noirci. Je suppose qu’ils commencent à geler, mais cela ne fait pas mal. Je les enduis du saindoux qu’on m’a donné pour le dîner et je pense que ça ira mieux bientôt. »
Dans cette prison, des condamnés ou des otages étaient fusillés tous les jours. Les renseignements continuaient à circuler par les gouttières, les tuyaux des cabinets, les conduites d’eau, et à l’heure de l’exécution, on entendait La Marseillaise ou Le Chant du départ. Le 3 novembre 43, des vitres furent brisées pour que, dans la cour, les condamnés entendent le chant d’adieu des prisonniers avant de mourir.
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Trésor de communication
Les murs des cachots n’étaient pas assez épais pour empêcher la transmission, en message codé, des nouvelles et des messages amicaux, pianotés d’une cellule à l’autre. Le nombre de coups au mur pour une lettre correspondait à son ordre dans l’alphabet. Ainsi en fallait-il 170 pour taper les lettres qui formaient la phrase rituelle: «Quoi de nouveau?» Il suffisait de coller son gobelet en émail contre la paroi pour amplifier le son ou le recevoir plus ou moins bien. Ailleurs, c’était un tuyau fêlé qui permettait de « téléphoner ».
Cellules pour insomniaques
L’impossibilité de dormir dans les camps de concentration et prisons de la France occupée était une torture supplémentaire pour les prisonniers. L’insomnie était d’abord entretenue par les hurlements qui provenaient des chambres de torture. De plus, la nuit, il valait mieux fermer la bouche, car les punaises tombaient du plafond. Comme il arrivait aux prisonniers de les confondre avec des mies de pain, ils les roulaient d’abord sous la langue avant de les recracher. Ils passaient des heures allongés sur leur paillasse infecte à se gratter jusqu’au sang, en raison des puces qui redoublaient d’activité.
Vision apocalyptique
Fille d’immigrés espagnols, Lise London – de son vrai nom Elisabeth Ricol –, entrée dans la résistance française, témoigne de cette atrocité dans un camp de la mort :
«Un jour, comble de l’horreur, nous apercevons un détenu traînant sur son dos un homme dont la tête, désarticulée, est tournée dans le sens contraire de ses pieds »
Pigeons de Lily Marlène
À la fin de 44, les déportés chargés de déblayer les ruines de l’usine Hermann Goering à Misburg furent obligés de travailler en chantant. Comme chaque nationalité pouvait choisir sa chanson, les Français entonnèrent La Madelon. Mais le commandant ne fut pas satisfait et leur imposa Lily Marlène, en français pour tout le monde. Les douze cents déportés n’eurent que deux jours pour mémoriser les paroles. Le dimanche suivant, regroupés devant l’état-major SS, ils chantèrent à tue-tête leur version du texte, qui parut enchanter leurs auditeurs... :
« Près d’une caserne y avait un Allemand Qui montait la garde tout en sanglotant Je lui demande : Pourquoi pleures-tu
Il me répond : Sommes foutus,On a les Russes au cul » (bis)
Ce couplet fut toutefois le seul qu’ils osèrent modifier...
« Heil Hitler ! » malgré tout
Avant même la déclaration officielle de la guerre, dans le camp de Bovermoor près d’Osnabruck, un prisonnier français, adepte de la secte des Stricts Serviteurs de la Bible, refusait de prononcer le «Heil Hitler!» et de lever le bras pour ce salut. Comme il s’entêtait, il fut mis au cachot une semaine, puis deux. Pour l’obliger à céder, les Allemands le rouèrent de coups, au point qu’il glissa et tomba sur l’eau gelée, puis fut frappé jusqu’à perte de connaissance. Son sang gelait sur le sol. C’est seulement après un séjour de plusieurs semaines dans une cellule partagée avec les « criminels invétérés » que, timidement, il exécuta l’ordre.
Sinistre Sigmaringen
Environ deux mille collaborateurs français de tout poil, ou simplement «maréchalistes», trouvèrent refuge dans la petite ville de Sigmaringen (Bade-Wurtenberg), autour du château où résidaient Pétain, depuis le début septembre 44. Ils dormaient jusqu’à six dans des chambres d’hôtels ou s’entassaient dans des établissements scolaires transformés en dortoirs. Des familles entières passaient leurs nuits dans la salle d’attente et le buffet de la gare, lieu de débauche et d’orgies à la bière, au milieu de déserteurs de l’armée allemande et de femmes en provenance de toute l’Europe. Sur les banquettes, sur les chaises ou par terre, ces gens fumaient, mangeaient, chantaient, buvaient, jacassaient... Ils ne pouvaient espérer dormir avant trois heures du matin, serrés comme des sardines, couchés, assis ou accroupis contre un mur, dévorés par la vermine, dans une atmosphère poisseuse et fétide. Ils vivaient dans l’espoir de gagner des lieux moins surpeuplés, d’un ticket de ravitaillement, d’un peu d’argent ou d’un permis de séjour qui leur éviterait de partir travailler dans quelque usine du Reich exposée aux bombardements alliés. Les Français devaient prendre leurs repas dans les restaurants, qui manquaient de presque tout. Le plus souvent, ils devaient se satisfaire d’une spécialité locale : leStammgericht, espèce de pâtée de choux rouges, de raves et de rutabagas, parfois mélangée avec un peu de pommes de terre, le tout particulièrement décapant pour les systèmes digestifs fragiles. Selon le docteur Louis-Ferdinand Destouches, c’est-à- dire le célèbre écrivain Céline, c’était un excellent laxatif. Jusqu’à cinq mille plats étaient servis chaque jour aux consommateurs, qui faisaient la file sans interruption devant les portes des W.-C.
Par ailleurs, Darnand, secrétaire général au maintien de l’ordre du gouvernement de Vichy, nommé SS dans l’armée allemande, commandait la milice chargée du maintien de l’ordre à Sigmaringen. Il agissait avec une bestialité inouïe: il crevait les yeux d’otages innocents, leur cousaient les paupières après y avoir mis des hannetons ou les jetait dans des puits.
Conditions d’hygiène déplorable dans un camp français
Dans le camp de Le Récébécou- près de Limoges –, en zone libre, les prisonniers français, qui couchaient sur des paillasses infectes, furent en permanence couverts de poux, malgré l’installation d’une étuve à désinfection en 1941. En outre, il n’existait que 24 W.-C. pour une population de 800 personnes, soit moins d’une cabine pour 32 prisonniers, alors que la dysenterie régnait en permanence. En hiver, leur situation et leur éloignement rendaient la plupart inaccessibles, ce qui contraignait de tolérer les seaux hygiéniques dans les baraquements et de permettre l’accès des prisonniers aux six latrines du personnel. Mais le sol en permanence boueux en rendait aussi l’accès quasiment impossible. En outre, durant l’hiver 1942-1943, la pompe à vidange tomba en panne. Pour se laver, lutter contre la vermine et la boue, les internés disposaient d’une rampe de 80 robinets d’eau froide, regroupés sur le terre-plein du camp, en plein vent. L’eau gelait par terre l’hiver, laissant de dangereuses plaques de verglas. Comme il n’y avait qu’un robinet pour dix, il fallait attendre son tour dehors en grelottant, épreuve à laquelle, en conséquence, beaucoup renonçaient. Il existait bien des douches, mais au nombre de trois pour tout le camp !