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À première vue, tel le destin des premiers producteurs d’Hollywood, la vie de Charlie Chaplin est une énième incarnation de l’American dream. Né dans une famille modeste de Londres, il dut composer dès l’enfance avec l’alcoolisme de son père, qui mourut alors que Chaplin n’avait que 14 ans, et les troubles mentaux de sa mère. Après avoir fait ses premières armes dans les cabarets de la capitale britannique, il partit en tournée aux États-Unis et fut repéré par Matt Sennett des studios Keystone. Très vite, son personnage de Charlot charma les foules en Amérique et ailleurs, mais Chaplin, lui, préférait séduire les jeunes adolescentes qui croisaient sa route. Son parcours sentimental rocambolesque parle pour lui-même : il se maria quatre fois, eut (officiellement) onze enfants, dut fuir deux fois au Mexique avec une mineure d’âge qu’il avait mise enceinte et fut à l’origine d’une modification de la loi californienne sur la paternité.
« Chaplin ? C’était le premier à partir ! » Telle fut la réponse du portier de Keystone quand un acteur découvrit les studios complètement déserts et demanda si la vedette anglaise avait elle aussi quitté les lieux. Six mois plus tôt, une jeune actrice était tombée enceinte après avoir joué quelques rôles dans des films de Chaplin. La mère de la jeune fille avait porté plainte, mais Matt Sennett avait un ami au bureau du procureur de Los Angeles qui lui avait conseillé d’envoyer en vacances le coupable pendant quelques semaines. Quatre ans plus tard, Mildred Harris, autre jeune actrice du studio, annonça à Chaplin qu’il lui avait fait un enfant. Heureusement pour l’acteur, Harris venait d’avoir 17 ans et avait donc atteint l’âge minimum pour se marier en Californie. En fin de compte, il s’avéra que l’adolescente n’était pas enceinte et le couple se sépara moins de deux ans après leur mariage, soit à cause de la liaison extraconjugale entre Chaplin et une nouvelle jeune comédienne, selon la version officielle, soit à la suite de violences exercées par la star envers sa jeune épouse, selon cette dernière. Avec 100 000 dollars et quelques titres de propriété en poche, Mildred Harris accepta cependant de partir en silence.
Mildred Harris
Le train de vie de séducteur de Charlie Chaplin devait bien finir par éclater au grand jour. En 1924, plus insatiable que jamais, il s’empressa de traverser la frontière mexicaine pour se marier avec Lita Grey, 16 ans. Il avait alors 35 ans. Grey, qui était également tombée enceinte, avait rencontré Chaplin à l’âge de 7 ans et l’acteur lui avait offert un rôle dans Le Kid, puis dans La Ruée vers l’or. Leur fils naquit en mai 1925, mais l’acteur cacha Grey et le bébé jusqu’à la fin du mois de juin. Quand il annonça enfin la nouvelle à la presse, neuf mois s’étaient ainsi écoulés depuis leur mariage et les apparences étaient sauves. En dépit de la naissance d’un deuxième enfant, Lita Grey est à peine citée dans l’autobiographie du comédien, car leur mariage était malheureux et Chaplin, afin de côtoyer le moins possible son épouse, passait le plus clair de son temps au studio à fignoler ses longs-métrages.
À la fin de l’année 1926, Grey le quitta en emportant leurs enfants et lui remit une lettre de divorce longue de cinquante-deux pages qui l’accusait d’être infidèle et violent, décrivait « ses désirs sexuels anormaux, contre nature, pervers et dégénérés » et fut copiée en de nombreux exemplaires qui atterrirent bien vite dans les bureaux des journaux à sensation. L’affaire fit un tollé et les avocats de Lita Grey jetèrent de l’huile sur le feu en menaçant de révéler les noms de « cinq grandes actrices » avec qui Chaplin avait eu des relations intimes au cours de son bref mariage. Soucieux de limiter les dégâts, l’acteur accepta de payer une indemnité record à hauteur de 600 000 dollars. Malgré quelques campagnes visant à bannir ses films, le scandale ne sembla pas nuire à la popularité de Charlot, qui connut ses plus grands succès dans les années à suivre avec Les Lumières de la ville (1931),
Les Temps modernes (1936) et Le Dictateur (1940).
Charlie Chaplin et Lita Grey.
Charlie Chaplin se maria quatre fois en tout. Sa troisième femme, Paulette Goddard avait 26 ans lors de leur mariage, lui en avait 47. À 54 ans, enfin, il se maria avec Oona O’Neill, 18 ans. O’Neill fut celle qui apporta un peu de stabilité dans la vie du comédien : ils restèrent mariés jusqu’à la mort de Charlot en 1977 et eurent huit enfants. Chaplin eut en outre de nombreuses maîtresses, dont l’actrice Louise Brooks, qui décrivit comment l’acteur badigeonnait toujours ses parties génitales d’iode avant de faire l’amour dans le but de se protéger de la syphilis. Ses inquiétudes à l’égard de la maladie étaient fondées : sa mère, qui travaillait dans le circuit du music-hall anglais, dut arrêter sa carrière prématurément, terrassée par une dépression nerveuse et des migraines chroniques probablement causées par cette affliction. Afin de pouvoir mieux s’occuper d’elle, Chaplin la fit venir à Hollywood en 1921. Toujours prêt à aider sa famille, Chaplin emmena également dans ses valises son demi-frère Sidney, qui joua dans quelques films et fut l’agent de Charlot pendant plusieurs années. En 1929, alors qu’il était de retour au Royaume-Uni, la carrière cinématographique du frère Chaplin connut une fin abrupte lorsqu’il fut accusé d’avoir violé et arraché le téton d’une actrice. Son studio britannique, incapable de nier les faits, préféra conclure l’affaire à l’amiable et fit en sorte que Sidney ne fasse plus parler de lui.
Oona O’Neill et Charlie Chaplin
Cependant, pour tout ce qu’on a reproché à Charlie Chaplin, l’affaire qui porta un coup fatal à sa carrière américaine ressembla fortement à une injustice. Entre 1941 et 1942, le comédien fréquenta l’actrice Joan Berry, mais leur relation prit fin brutalement lorsque Berry se mit à pénétrer par effraction chez Chaplin et à le menacer avec une arme en éructant des propos incohérents... Un an plus tard, en 1943, la jeune femme attaquait l’acteur en justice, l’accusant de l’avoir mise enceinte. Berry promit d’abord d’abandonner les poursuites si la paternité de Chaplin était réfutée scientifiquement, mais l’affaire se compliqua très vite quand J. Edgar Hoover y vit une occasion de briser la carrière de l’acteur anglais, qui n’était rien d’autre qu’une vermine communiste aux yeux du patron du FBI.
En plus des soupçons de paternité, Chaplin fut aussi accusé d’avoir contrevenu au Mann Act, qui interdisait de passer la frontière d’un État avec une femme dans le but d’avoir des relations sexuelles avec celle-ci. Il fut toutefois blanchi de ce chef d’accusation quand les tests sanguins démontrèrent que l’acteur ne pouvait pas être le père de la fille de Berry, Charlot sembla tiré d’affaire. Mais c’était sans compter sur la presse à scandales qui avait mené une vaste campagne de diffamation à l’encontre de Chaplin dès l’entame du procès, bien fournie en détails scabreux par le FBI et la défense de Joan Berry. De plus, les tests sanguins n’étaient pas acceptés par la justice californienne de l’époque. Après un réquisitoire au vitriol de l’avocat de Berry, les jurés déclarèrent que Charles Chaplin était bel et bien le père de l’enfant et le condamnèrent à verser une pension à la jeune femme pendant vingt-et-un ans. Ce procès fit jurisprudence et à la suite de plusieurs autres verdicts tout aussi insensés, le gouvernement de Californie décréta que seuls les tests sanguins pouvaient déterminer la paternité d’un homme.
Ce changement de loi intervenait trop tard pour Chaplin, dont la réputation avait été ruinée par la presse. Ses films suivants, dans lesquels il abandonna le personnage de Charlot et qui sont aujourd’hui considérés comme des chefs-d’œuvre, furent boudés par le public. Enfin, le 19 septembre 1952, alors que Chaplin venait d’embarquer pour l’Angleterre à l’occasion de la première de Les Feux de la rampe, le procureur général des États-Unis révoqua le permis de séjour de l’acteur, qui déclara d’un air indifférent : « Je n’y retournerais pas même si le président était Jésus-Christ ». Finalement, Chaplin retraversa l’Atlantique à une reprise, en 1972, pour accepter une récompense honorifique lors de la cérémonie des Oscars. Il fut accueilli par une standing ovation.
Toutefois, il était écrit que, même dans la mort, Charlie Chaplin trouverait un repos tout relatif. En 1978, quatre mois après les funérailles de la star, sa dépouille disparut de sa dernière demeure, dans le village suisse de Corsier-sur-Vevey. Quelques jours plus tard, la veuve du défunt reçut une demande de rançon de 600 000 dollars agrémentée de photos du cercueil déterré. Après l’échec de deux premiers pièges tendus aux ravisseurs, la police helvète sortit les grands moyens en déployant une centaine d’agents pour surveiller les 200 cabines téléphoniques de la région. Cette tactique permit d’appréhender un mécanicien polonais de 24 ans qui avoua le méfait sans trop de mal et mena les autorités à la dépouille de l’acteur, cachée dans un champ de maïs.
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