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Waterloo – Mieux valait être mort que blessé

Un blessé raconte (Sergent-major Marcq)

 

« (...) étant resté sur le champ de bataille, j’ai vu grande partie de la troupe ennemie qui marchait à la poursuite des Français. J’étais resté sur place baigné dans mon sang, et malgré cette cruelle position, j’eusse encore la précaution avant que l’ennemi ne passe dans nous, de défaire mes culottes et mes caleçons, et de me mettre sur mon ventre le nez en terre pour leur faire voir que j’étais tué et pillé ; quoique cette bonne précaution, il y eut un cavalier qui a voulu se satisfaire de mon sort, il m’a lancé un coup de pointe de sabre sur le cou, mais j’ai encore eu assez de forces pour ne pas bouger de ma position ; car si j’eusse fait le moindre mouvement, il est à croire qu’il m’aurait achevé, et je fus dans mon triste sort assez heureux de conserver un peu d’argent que j’avais eu la précaution de cacher dans ma bouche. (...) J’ai resté sur le champ de bataille les 18, 19 et 20 juin, époque où je fus ramassé par des paysans, et de suite conduit à Bruxelles, où l’on me pansa pour la première fois : je faisais partie d’un convoi de 1500 hommes blessés. »

 

 

Il valait mieux être robuste

 

Les chirurgiens des deux camps opéraient grâce à une technologie de pointe pour leur époque. Chacun possédait sa propre panoplie, composée de divers ustensiles : des couteaux, des scalpels, des scies, des forceps, des garrots, des tissus ouatés pour arrêter les hémorragies. Et si, au final, le blessé sortait vivant de l’opération, du lin pour tisser des bandages, de la soie et de la cire pour faire des sutures, des attelles en fanon de baleine, des épingles, du ruban, du fil, des aiguilles, des pansements, de l’opium, du protochlorure de mercure (mercure doux), du sulfate de magnésium, de l’alcali volatil (ammoniaque), de l’essence de térébenthine, des bougies de cire, des allumettes à base de phosphore, ainsi que du vin et d’autres alcools pour traiter le choc.

 

En ce qui concernait les blessures aux torses ou à l’abdomen, la seule solution était de suturer la plaie, la recouvrir, et d’attendre en espérant un rétablissement.

 

Les blessures plus profondes au ventre pouvaient parfois être soignées en recousant certains tissus entre eux. Mais il faut constater qu’elles étaient les plus dangereuses et que le blessé avait peu de chance de s’en sortir. Quand il s’agissait d’une blessure par balle, le chirurgien commençait par effectuer une incision bien profonde pour extraire les caillots de sang, puis il écartait les chairs pour arriver à retirer les petits fragments détachés d’un os brisé, mais aussi et surtout la fameuse balle. Cette étape se pratiquait la plupart du temps à main nue, à moins que le chirurgien ne possède un extracteur de balle, un instrument que l’on pourrait comparer à une sorte de tire-bouchon.

 

 

Mais dans la majorité des cas, quand un soldat était touché à la jambe ou au bras, on amputait presque automatiquement le membre atteint.  En effet, les blessures dues aux balles rondes des mousquets étaient si dévastatrices sur ceux-ci qu’elles les brisaient sur le coup, excepté lorsqu’elles ne causaient qu’une simple fracture ou lorsqu’elles évitaient les artères principales.  Si l’amputation était la technique préférée des chirurgiens de l’époque, ce n’était pas par sadisme contrairement à ce que certains pourraient croire mais pour agir rapidement contre toutes les conséquences possibles, un peu comme aujourd’hui pour le cancer lorsqu’on essaie de retirer le plus rapidement la tumeur.

 

Le processus se déroulait en plusieurs étapes. Le chirurgien commençait par poser un garrot afin de réduire au maximum les saignements. Après quoi, il incisait les chairs et les muscles jusqu’à mettre l’os à nu. Une fois l’os coupé, on rabattait les chairs sur l’extrémité de l’os et on terminait en réalisant un moignon à l’aide des chairs superflues, qui était soit suturé, soit cautérisé.

 

Dans la ferme de Mont-Saint-Jean qui fut le principal centre de soins anglais du champ de bataille, les membres amputés formaient d’immenses tas aux quatre coins de la cour. Outre les amputations, les chirurgiens avaient principalement pour tâche de bander des blessures, consolider des fractures, ou encore sonder les plaies à la recherche de corps étrangers.  Il n’existait pas d’anesthésique au sens propre du terme. On avait pour habitude de donner du vin ou d’autres alcools forts aux soldats, non pas pour les endormir avant une opération mais au contraire pour les revigorer après coup. Dans la même optique, l’opium était également utilisé après et non avant, pour aider les patients à prendre du repos.  Ces soldats n’étaient pas nécessairement plus résistants à la douleur que nous le sommes aujourd’hui, mais simplement accoutumés à la ressentir à tous les moments de leur vie.

 

 

Et parfois on « cassait sa pipe »

 

Nous avons vu les moyens du temps... Il faut ajouter en plus qu’il n’y a pas d’antibiotique ni de transfusion sanguine... On coupe et on charcute beaucoup. Pour « opérer », on devait se contenter la plupart du temps de glisser un objet sur lequel mordre entre les dents du soldat pour atténuer ses hurlements et donner un exutoire à sa douleur.  Certains préféraient garder leur pipe en terre cuite en bouche. Si l’opération échouait et que le soldat succombait, ses mâchoires se desserraient et laissaient tomber la pipe qui venait se briser au sol. Dans ce cas, on pouvait dire de lui qu’il avait « cassé sa pipe ».  Cette expression qui depuis lors signifie mourir serait cependant plus ancienne que l’époque napoléonienne.  On la retrouve déjà au XVIIe siècle, dans Les mazarinades (un écrit satirique publié du temps de la Fronde et visant le cardinal Mazarin) avec le sens de « se mettre en colère ». Les spécialistes ignorent encore comment nous sommes passés de cette première acception à la seconde qui elle seule fonctionne encore aujourd’hui.

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